Moi, Claude
pouvait signifier qu’une seule chose : qu’il ajoutait foi à l’histoire de Postumus telle que je l’avais rapportée à Germanicus, et que son testament (confié en effet aux Vestales) reconnaissait de nouveau l’exilé comme son héritier. Quant à moi je serais récompensé de ma fidélité envers lui. J’ignorais naturellement alors la visite d’Auguste à Planasie, mais je m’attendais à le voir rappeler Postumus et le traiter avec honneur.
Je fus déçu. Le nouveau testament avait été fait en secret, sans autres témoins que Fabius Maximus et quelques vieux prêtres décrépits. Il fut trop facile de le supprimer au profit d’un autre qui datait du temps de la défaveur de Postumus, six ans auparavant. Tibère y était désigné comme héritier au premier degré pour les deux tiers de la fortune d’Auguste : le dernier tiers était réservé à Livie. Les héritiers au second degré étaient Germanicus, Agrippine et leurs enfants, Castor, Livilla et les leurs. Au troisième degré figuraient divers sénateurs et parents éloignés, rangés par ordre d’importance : leur désignation était d’ailleurs purement honorifique, Auguste n’ayant pu compter survivre à tant d’héritiers du premier et du second degré. Le dernier nom du dernier rang du dernier degré était celui de Tibère-Claude-Drusus-Néron-Germanicus, c’est-à-dire de Clau-clau-claude, de Claude l’Idiot, ou, comme l’appelaient déjà les petits garçons de Germanicus, du « pauvre oncle Claude ». Quant à Julie et à Julilla, Auguste ne faisait pas mention d’elles, sinon pour interdire de déposer leurs cendres dans son mausolée, lorsqu’elles viendraient à mourir.
Auguste avait tant dépensé pour l’État qu’il ne lui restait guère à léguer qu’une quinzaine de millions, pour la plus grande partie difficiles à réaliser en espèces. L’exiguïté de la fortune causa une surprise générale : toutes sortes de bruits malveillants coururent jusqu’au moment où, tes comptes d’Auguste ayant été mis au jour, on fut certain qu’il n’y avait pas eu fraude. Les citoyens étaient furieux de leur maigre héritage : à une représentation donnée en mémoire d’Auguste aux frais du public il y eut une manifestation en plein théâtre. Le Sénat avait si bien rogné l’allocation qu’un des acteurs refusa de jouer pour le cachet qu’on lui offrait.
Je parlerai plus loin du mécontentement de l’armée. Pour le moment, occupons-nous de Tibère. Auguste en avait fait son collègue et son héritier, mais il ne pouvait pas, officiellement du moins, lui transmettre la monarchie. Il avait dû se borner à le recommander au Sénat, à qui revenaient maintenant tous ses pouvoirs. Le Sénat n’aimait pas Tibère et ne le souhaitait pas comme Empereur. Mais Germanicus, qu’on eût choisi si on l’avait pu, était absent. Et Tibère avait des droits dont il fallait bien tenir compte.
Personne n’osa donc prononcer un autre nom que le sien ni s’opposer à la proposition faite par les consuls de lui confier la tâche d’Auguste telle que celui-ci l’avait laissée. Tibère fit une réponse évasive, parla de l’immense responsabilité qu’on voulait lui imposer, de son manque total d’ambition. Le Dieu Auguste, dit-il, était seul capable de porter ce lourd fardeau. Mieux valait partager ses charges en trois et diviser la responsabilité.
Les sénateurs, cherchant à s’attirer sa bienveillance, protestèrent qu’on avait déjà essayé plus d’une fois du triumvirat au siècle précédent : seule la monarchie avait été capable de remédier aux guerres civiles. Une scène ridicule s’ensuivit. Les sénateurs faisaient semblant de pleurer et embrassaient les genoux de Tibère. Lui, tout en affirmant qu’il ne cherchait pas à se dérober à son devoir, se prétendait incapable d’assumer la charge en entier. Il n’était plus jeune : il avait cinquante-six ans ; sa vue baissait. Mais il accepterait volontiers une partie de la tâche. Il ne voulait pas qu’on pût l’accuser de s’être emparé du pouvoir avec trop d’avidité : il voulait surtout que Germanicus et Postumus (où que se trouvât ce dernier) fussent bien assurés de la force de sa position à Rome. Car il redoutait Germanicus, dont la popularité à l’armée était infiniment plus grande que la sienne. Il ne le croyait pas capable de prendre le pouvoir pour lui-même, mais pensait que s’il venait à apprendre
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