Moi, Claude
autels à Auguste dans la ville même et dans les cités voisines. Un collège de prêtres fut institué pour célébrer son culte ; Livie, à qui on décernait en même temps les titres de Julie et d’Augusta, en fut nommée Grande Prêtresse. Elle récompensa Atticus en lui donnant dix mille pièces d’or et le fit admettre parmi les nouveaux prêtres sans qu’il eût à verser les droits d’initiation. Pour moi, je fus nommé aussi, mais en tant que petit-fils de Livie je dus payer des droits plus forts que les autres. Personne n’osa demander comment il se faisait que cette ascension d’Auguste n’eût été vue que du seul Atticus. Le plus drôle, c’est que la nuit avant les funérailles Livie avait caché un aigle dans une cage au sommet du bûcher : au moment de mettre le feu quelqu’un devait ouvrir la cage en tirant une ficelle : l’aigle s’envolerait et on le prendrait pour l’esprit d’Auguste. Malheureusement le miracle ne réussit pas. La porte de la cage ne voulut pas s’ouvrir. Au lieu de laisser brûler l’aigle sans rien dire, l’officier préposé grimpa sur le bûcher et ouvrit la porte lui-même. Livie fut obligée d’expliquer que l’aigle avait été lâché sur son ordre, en manière de symbole.
Je ne dirai rien de plus des funérailles d’Auguste, bien qu’on n’en ait jamais vu à Rome de plus magnifiques, car il faut que je commence dès maintenant à laisser de côté dans mon histoire tout ce qui n’est pas de première importance : j’ai déjà rempli plus de treize rouleaux du meilleur papier de la nouvelle fabrique que je viens de monter, et n’en suis pas encore au tiers de mon récit. Mais je ne peux passer sous silence le testament d’Auguste, que tout le monde attendait avec impatience. Personne n’avait plus grand-hâte de le voir que moi : je vais expliquer pourquoi.
Un mois avant sa mort, Auguste, qui revenait de voir ma mère convalescente d’une longue maladie, était apparu tout à coup à la porte de mon cabinet de travail. Ayant renvoyé sa suite, il s’était mis à me parler de choses et d’autres sans me regarder, timide comme s’il eût été Claude et moi Auguste. Il prit un volume de mon Histoire et en lut un passage.
— Excellent ! dit-il. Quand l’ouvrage sera-t-il terminé ?
— Dans un mois au plus tard, répondis-je.
Il m’en félicita et me dit qu’il organiserait alors une lecture publique à ses frais, en y invitant ses amis. Je restai stupéfait, mais il continua en me demandant amicalement si je ne préférerais pas faire lire mon ouvrage par un professionnel que de m’en charger moi-même – il doit être si embarrassant de lire ses propres œuvres en public ! Ce vieux dur à cuire de Pollion lui-même avouait que cela l’intimidait toujours. Je le remerciai de tout mon cœur et reconnus qu’un lecteur professionnel ferait mieux que moi, si toutefois mon travail méritait pareil honneur.
Tout à coup il me tendit la main.
— Claude, me demanda-t-il, m’en veux-tu ?
Que pouvais-je répondre ? Les larmes me montèrent aux yeux : je murmurai que je le respectais infiniment et qu’il n’avait jamais rien fait pour s’attirer mon mauvais vouloir.
— Non, soupira-t-il, mais bien peu aussi pour m’attirer ton affection. Attends quelques mois encore, Claude, et j’espère pouvoir mériter à la fois ton affection et ta reconnaissance. Germanicus m’a parlé de toi. Il dit que tu es fidèle à trois choses : à tes amis, à Rome, à la vérité. Je serais fier qu’il en pensât autant de moi.
— L’affection de Germanicus pour toi touche à l’adoration pure et simple, répondis-je. Il me l’a dit souvent.
Son visage s’éclaira.
— Tu me le jures ? J’en suis très heureux. Ainsi, Claude, il y a un grand lien entre nous : la bonne opinion de Germanicus. Et voici ce que je suis venu te dire : je t’ai très mal traité jusqu’à présent ; je le regrette de tout mon cœur ; tu verras que cela va changer. Puis il cita en grec : « Qui t’a blessé te guérira » et là-dessus il me serra dans ses bras. Au moment de sortir il ajouta par-dessus son épaule : « Je viens de rendre visite aux Vestales : j’ai fait de grands changements à un mien document qui leur est confié. Comme ces changements te sont dus en partie, j’ai aussi donné à ton nom plus d’importance qu’auparavant. Mais pas un mot !
— Tu peux te fier à moi », lui dis-je.
Tout cela ne
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