Moi, Claude
professeur qui avait refusé de l’admettre dans sa classe sous prétexte qu’il n’avait pas de place et l’avait prié de repasser dans huit jours. « Et que pensez-vous, continua-t-il, qu’ait fait Sa M… – pardon, mon honorable collègue et ami Tibère-Néron-César – lorsque, au moment de son accession au trône, l’impertinent professeur vint rendre hommage au nouveau Dieu ? A-t-il fait couper cette tête imprudente pour la donner en guise de ballon à ses Gardes du corps ? Pas du tout : avec autant d’esprit que de clémence il répondit qu’il n’avait pas de place pour le moment parmi ses flatteurs et le pria de repasser dans huit ans. » L’histoire, je pense, était inventée, mais le Sénat, qui n’avait aucune raison de ne pas y croire, applaudit si fort que Tibère n’osa pas protester.
Il avait beau haïr sa mère plus que jamais, il n’en continuait pas moins à se laisser diriger par elle. Toutes les nominations de consuls ou de gouverneurs étaient en réalité faites par elle – et très bien faites, car elle savait choisir. Avec tous ses défauts, c’était un chef capable et juste, et l’édifice qu’elle avait fait construire ne commença à fléchir que lorsqu’elle cessa d’y tenir la main.
Séjan, le commandant des Gardes, était une des trois seules personnes à qui Tibère ouvrît parfois son cœur. La seconde était Thrasylle, qui l’avait suivi à Rome, et la troisième un sénateur du nom de Nerva. Thrasylle ne parlait jamais des affaires de l’État avec Tibère ; il ne lui avait jamais demandé de position officielle et acceptait d’un air d’indifférence les grosses sommes que celui-ci lui donnait, comme si l’argent ne comptait pas pour lui. Il avait au palais un grand observatoire en forme de dôme, avec des fenêtres de verre si clair et si transparent qu’on se doutait à peine qu’elles étaient là. Il y passait beaucoup de temps en compagnie de Tibère, à qui il enseignait les rudiments de l’astrologie et de beaucoup d’autres arts magiques – par exemple celui d’interpréter les rêves à la manière des Chaldéens.
Quant à Séjan et à Nerva, Tibère semblait les avoir choisis pour l’opposition parfaite de leurs caractères. Nerva ne s’était jamais fait un ennemi ni aliéné un ami. Son seul défaut, si l’on peut dire, était de garder le silence en face des maux auxquels la parole ne pouvait remédier. Il était doux, brave, absolument sincère, et incapable de se prêter à la moindre tromperie, même dans un dessein généreux. Tibère le garda toujours auprès de lui, peut-être afin d’avoir sous la main une mesure pour la vertu, comme Séjan en était une pour le vice.
Séjan avait été dans sa jeunesse l’ami de Caius, dans l’état-major de qui il avait servi en Orient. Assez intelligent pour prévoir le retour en grâce de Tibère, il y contribua en l’appuyant auprès de Caius : il reçut en retour une lettre, qu’il conserva, dans laquelle Tibère s’engageait à ne jamais oublier ses services. Séjan était un menteur, mais un si parfait général de mensonges qu’il savait les ordonner en formation alerte et disciplinée, prête aux escarmouches contre les soupçons comme aux batailles rangées contre la vérité. (Cette habile comparaison n’est pas de moi, mais de Gallus.) Tibère enviait ce talent à Séjan comme il enviait son honnêteté à Nerva ; car, déjà bien avancé dans le mal, il était encore gêné par d’inexplicables impulsions vers le bien.
Ce fut Séjan qui le premier l’excita contre Germanicus. Celui-ci, disait-il, convoitait certainement la couronne, mais il tenait d’abord à être sûr de ses soldats. Quant à Agrippine, c’était une ambitieuse. On avait vu ce dont elle était capable : s’improviser capitaine d’un pont et recevoir les troupes comme si elle était Dieu sait qui ! Le danger couru par le pont n’existait sans doute que dans son imagination. Séjan affirmait en outre avoir appris d’un ancien esclave de Germanicus qu’Agrippine imputait à Livie et à Tibère la mort de ses trois frères et l’exil de sa sœur, et qu’elle avait juré de les venger.
Séjan commença aussi à découvrir toutes sortes de complots contre Tibère. Il le maintenait dans une crainte perpétuelle de l’assassinat, tout en lui persuadant qu’il n’avait rien à craindre tant qu’il l’aurait auprès de lui. Il le poussait à contrecarrer Livie dans les
Weitere Kostenlose Bücher