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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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épais et touché ce qui lui servait de cœur. Urgulanille avait dans son boudoir un portrait grandeur nature de Numantine ; elle le contemplait pendant des heures quand elle n’avait pas l’occasion de contempler Numantine elle-même. Lorsque je partis pour Capoue elle resta à Rome avec ma mère et Drusillus.
    La seule chose qui me gênât à Capoue était l’absence d’une bonne bibliothèque. Je commençai cependant un livre pour lequel je pouvais m’en passer : une histoire de l’Étrurie. Je menais une vie calme et régulière entre mes secrétaires Callon et Pallas ; je m’occupais de la ferme qui avoisinait ma villa et recevais de temps à autre la visite d’amis de Rome.
    Une femme vivait avec moi : elle s’appelait Acté ; c’était une prostituée de métier et une excellente femme. Elle ne me donna pas le moindre ennui pendant les quinze ans qu’elle passa près de moi. Nos relations étaient strictement professionnelles : elle était prostituée parce qu’elle le voulait bien ; je la payais largement ; elle n’allait pas chercher plus loin. Nous étions attachés l’un à l’autre à notre manière. À la fin elle me dit qu’elle désirait se retirer et vivre de ses économies : elle voulait épouser un brave homme, de préférence un vieux soldat, s’établir et avoir des enfants avant qu’il fût trop tard. Elle avait toujours rêvé d’une maison pleine d’enfants. Je l’embrassai, lui dis adieu et lui donnai une dot pour lui faciliter les choses. Mais elle ne partit pas avant de s’être trouvé une remplaçante qui pût me satisfaire. Elle me trouva Calpurnia, qui lui ressemblait tant que j’ai toujours pensé que c’était sa fille. Elle m’avait parlé jadis d’une fille qu’elle avait mise en nourrice parce que, disait-elle, on ne peut être à la fois prostituée et mère.
    Si je parle de tout cela, c’est parce que mes lecteurs se demanderont sans doute quelle espèce de vie je pouvais bien mener depuis que je m’étais séparé d’Urgulanille. Il n’est pas naturel pour un homme de vivre longtemps sans femme, et étant donné ce qu’était Urgulanille, on ne peut pas, je pense, me reprocher d’avoir vécu avec Acté. Nous étions convenus avec cette dernière que tant que nous serions ensemble, aucun de nous n’aurait de rapports avec personne d’autre. Ce n’était pas du sentiment, mais une précaution d’ordre médical : il y avait alors beaucoup de maladies vénériennes à Rome – encore un reste, soit dit en passant, des Guerres puniques.
    Je veux dire, par la même occasion, que je ne me suis jamais, à aucun moment de ma vie, adonné à l’homosexualité. Je ne songe pas aux arguments d’Auguste – à savoir que cela empêche un homme de donner des enfants à l’État. Mais j’ai toujours trouvé pitoyable et ridicule de voir un homme fait – peut-être un magistrat et un chef de famille – baver amoureusement sur un garçonnet gras couvert de fards et de bijoux, ou un vieux sénateur jouer les Vénus pour quelque jeune Adonis de la cavalerie des Gardes, qui supporte le vieil imbécile uniquement à cause de son argent.
    Quand je devais aller à Rome, j’y restais aussi peu de temps que possible. Je n’étais pas à l’aise dans l’atmosphère du mont Palatin – peut-être à cause de la tension croissante entre Tibère et Livie. Tibère se faisait construire un énorme palais au nord-ouest de la colline ; il venait de s’installer au rez-de-chaussée sans même attendre que les autres étages fussent terminés, laissant Livie seule maîtresse du palais d’Auguste. Elle, comme pour montrer que le nouveau palais, malgré ses dimensions triples, n’aurait jamais le prestige de l’ancien, érigea dans son vestibule une magnifique statue d’Auguste en or et voulut, en tant que Grande Prêtresse de son culte, inviter tous les sénateurs et leurs femmes au banquet d’inauguration. Tibère fit remarquer qu’un vote du Sénat était nécessaire : c’était une fête officielle et non une réception privée. Il dirigea le débat de telle sorte que finalement on partagea le banquet en deux : la table des sénateurs, présidée par lui, dans le vestibule ; celle de leurs femmes, présidée par Livie, dans un salon attenant. Elle avala la couleuvre et dit que c’était là un arrangement raisonnable, tel que l’eût souhaité Auguste lui-même ; mais elle s’appropria les plats et les vases les plus coûteux et

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