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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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petites choses, pour lui montrer qu’elle se jugeait plus forte qu’elle ne l’était en réalité. Ce fut lui aussi qui, quelques années plus tard, réorganisa et disciplina le corps des Gardes, rappela les bataillons épars dans toute l’Italie et les installa dans un camp permanent aux portes de la ville. Tibère eut ainsi sous la main neuf mille fantassins et deux mille cavaliers, c’est-à-dire presque toute l’armée d’Italie. Les Gardes du corps germaniques ne comptaient pas comme soldats, étant théoriquement des esclaves. Mais c’étaient des hommes de choix, plus fanatiquement fidèles à leur Empereur que n’importe quel Romain. Ils chantaient toujours des chœurs mélancoliques qui parlaient de leur pays, mais aucun ne souhaitait vraiment retourner dans ces régions froides et barbares. Ils étaient bien trop heureux chez nous.
    Tibère, depuis qu’il craignait pour sa vie, désirait de plus en plus avoir accès aux dossiers secrets, mais Livie prétendait toujours que le chiffre en était perdu. Séjan suggéra à Tibère de lui dire que puisque ces dossiers ne pouvaient plus servir à rien il allait se décider à les brûler. « Fais-le si tu veux, dit Livie, mais il vaudrait mieux les garder, au cas où on retrouverait le chiffre. Moi-même je peux m’en souvenir tout à coup. – Très bien, mère, dit Tibère, je les garderai jusqu’à ce que tu t’en souviennes, et en attendant je tâcherai de retrouver le chiffre moi-même. » Il enferma les dossiers dans une armoire de sa chambre et essaya, mais en vain, de les déchiffrer. Le code ordinaire consistait simplement à écrire E pour alpha, F pour bêta, G pour gamma, et ainsi de suite. Mais le code secret était presque impossible à découvrir. Il fallait lire, en même temps qu’on écrivait, les cent premières lignes du premier livre de l’Iliade : on représentait chaque lettre du texte à chiffrer par le nombre de lettres de l’alphabet qui la séparaient de la lettre correspondante dans Homère. Ainsi la première lettre de la première ligne de l’Iliade est un mu. Supposons qu’on veuille transcrire la lettre upsilon  : il y a sept lettres entre le mu et l’upsilon : on écrira donc le chiffre 7. Ce code était de l’invention d’Auguste, et assez long tant à écrire qu’à déchiffrer, mais je pense qu’avec l’habitude on finissait par savoir par cœur la distance entre toutes les lettres.
    On me demandera comment je sais tout cela. C’est que bien des années plus tard, quand les dossiers me tombèrent entre les mains, je trouvai le chiffre moi-même. Je découvris par hasard un rouleau du premier livre d’Homère dont les cent premières lignes étaient sales et pleines d’encre et le reste absolument intact. En regardant de plus près je vis des chiffres minuscules – 6, 23, 12 – inscrits légèrement sous les lettres. Je fis aussitôt le rapprochement avec le chiffre et m’étonnai que Tibère n’y eût pas songé.
    Ma mère était très nerveuse avec moi à cette époque, à cause du temps que demandait la reconstruction de notre maison. Les nouveaux meubles que j’achetais ne valaient pas les anciens ; de plus son revenu se trouvait très réduit par l’obligation où elle était de prendre sa part des dépenses – à moi seul je n’y eusse pas suffi. Pendant deux ans nous fûmes logés – et assez mal logés – au palais. Elle me témoignait si fréquemment son irritation qu’à la fin je ne pus y tenir et quittai Rome pour aller habiter ma villa de Capoue : je ne rentrais en ville que lorsque mes fonctions sacerdotales l’exigeaient, ce qui était rare.
    — Et Urgulanille ? demandera-t-on. Elle ne venait jamais à Capoue – à Rome même nous nous voyions peu. Elle me disait à peine bonjour et ne semblait s’apercevoir de ma présence que par convenance, quand nous avions des invités. Nous ne couchions jamais ensemble. Elle paraissait aimer notre fils, Drusillus, mais s’occupait assez peu de lui. C’était ma mère qui l’élevait, comme elle dirigeait la maison, sans rien demander à Urgulanille.
    Je ne sais à quoi celle-ci passait son temps, mais elle n’avait jamais l’air de s’ennuyer : elle mangeait énormément et n’avait, que je sache, aucune intrigue cachée. Cette étrange créature avait cependant une passion : Numantine, la femme de son frère Silvanus, une petite fée blonde et quasi immatérielle, qui avait je ne sais comment percé ce cuir

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