Moi, Claude
cela veut dire quelque chose, seigneur, ou est-ce que le bonhomme était fou ?
Pendant qu’il parlait, je pouvais à peine en croire mes oreilles. Postumus ! Mais Postumus était mort.
— A-t-il les mâchoires larges, les yeux bleus, une manière de pencher la tête de côté quand il pose une question ?
— Tout juste, seigneur.
Je lui versai à boire d’une main si tremblante que j’en répandis la moitié. Puis, lui ayant fait signe de m’attendre, je rentrai dans la maison. Je trouvai deux bonnes robes unies, du linge, des sandales, une paire de rasoirs et du savon. Ensuite je pris le premier livre cousu qui me tomba sous la main – c’était un compte rendu des récents discours de Tibère au Sénat – et sur la septième page j’écrivis avec du lait :
« Quel bonheur ! J’écris immédiatement à G… Sois prudent. Demande-moi tout ce qu’il te faut. Où puis-je te voir ? Toute mon affection. Ci-joint vingt pièces d’or ; c’est tout ce que j’ai pour le moment, mais un présent rapide en vaut deux, je l’espère. »
J’attendis que la page fût sèche et remis à l’homme le paquet du livre et des vêtements, puis une bourse.
— Prends ces trente pièces d’or, lui dis-je. Il y en a dix pour toi : les vingt autres sont pour l’homme du bois. Rapporte-moi de ses nouvelles et tu en auras dix autres. Mais pas un mot, et reviens vite.
— C’est bon, seigneur, dit-il. Tu peux te fier à moi. Mais qui m’empêche de disparaître avec le paquet et l’argent ?
— Si tu n’étais pas honnête tu ne poserais pas la question. Buvons encore un coup ensemble, et va-t’en.
Il partit avec le paquet et l’argent et quelques jours plus tard me rapporta une réponse verbale de Postumus. Celui-ci me remerciait de l’or et des vêtements et me faisait dire de ne pas chercher à le voir, mais la mère du Crocodile saurait où il se trouvait et il me priait de lui faire parvenir aussitôt que possible la réponse de son beau-frère. Je donnai au vieux soldat les dix pièces d’or promises, plus dix autres en récompense de sa fidélité. Je savais qui Postumus entendait par « la mère du Crocodile ». Le Crocodile était un vieil affranchi d’Agrippa, ainsi surnommé par nous à cause de sa lenteur, de sa voracité et de ses énormes mâchoires. Sa mère tenait auberge à Pérouse : je connaissais l’endroit. J’écrivis aussitôt à Germanicus pour lui donner les nouvelles ; j’envoyai la lettre à Rome par Pallas en lui disant de la remettre au prochain courrier de Germanie. J’attendis la réponse, mais rien ne vint. J’écrivis de nouveau, cette fois plus au long – toujours pas de réponse. Je fis dire par un marchand ambulant à la mère du Crocodile que le beau-frère n’avait toujours rien envoyé.
Postumus ne me donna plus signe de vie. Il ne voulait pas me compromettre davantage, et maintenant qu’il avait de l’argent et pouvait aller et venir sans risquer de se faire arrêter comme esclave évadé, il n’avait plus besoin de mon aide. Un jour quelqu’un le reconnut et il dut, par prudence, quitter l’auberge. Le bruit qu’il était vivant se répandit bientôt dans toute l’Italie. À Rome son nom était sur toutes les lèvres. Une douzaine de personnes, y compris trois sénateurs, vinrent me trouver en particulier pour me demander si la nouvelle était exacte. Je répondis que je n’avais pas vu Postumus, mais que quelqu’un d’autre l’avait vu, et qu’il n’y avait pas de doute que ce ne fût bien lui. À mon tour je leur demandai ce qu’ils comptaient faire si Postumus rentrait à Rome et s’attachait la populace.
Mais la question trop directe les embarrassa et les blessa, et je n’obtins pas de réponse.
On disait avoir vu Postumus dans plusieurs villes des environs de Rome, mais il prenait la précaution de n’y entrer qu’à la nuit et d’en sortir déguisé avant l’aube. Il ne se montrait pas en public, mais descendait dans quelque auberge et laissait en partant un mot de remerciement signé de son véritable nom. Enfin, un beau jour, il aborda à Ostie sur un petit vaisseau côtier. Le port apprit son arrivée quelques heures à l’avance et lui fit une formidable ovation. Il avait choisi Ostie parce que c’était le quartier général d’été de la flotte, dont son père Agrippa avait été amiral. Son vaisseau portait le pavillon vert qu’Auguste avait permis à Agrippa – et à ses fils après lui –
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