Moi, Claude
pourrait – il l’enverrait probablement en Orient – et reparlerait au Sénat de nommer Livie Mère de la Patrie, titre qu’elle avait bien mérité. C’était exactement ce qu’il fallait lui dire. Elle fut enchantée de voir qu’il la craignait encore assez pour agir de la sorte. Elle jura qu’elle n’avait rien fait contre Postumus – c’était probablement une invention d’Agrippine, qui poussait son mari à usurper la monarchie et cherchait pour y parvenir à brouiller Tibère et sa mère. Quant au titre, elle l’acceptait, et le plus tôt serait le mieux. Tibère l’embrassa, et ils feignirent ainsi de se réconcilier, mais aucun d’eux n’avait confiance en l’autre.
Germanicus semblait satisfait. Mais Tibère se sentait mal à l’aise. Agrippine lui adressait à peine la parole, et sachant qu’elle et Germanicus ne faisaient qu’un au fond, il ne pouvait plus croire à leur fidélité. D’ailleurs il se passait à Rome des choses qu’un homme comme Germanicus devait forcément avoir en horreur. D’abord les mouchardages. Comme Livie ne voulait ni lui donner accès aux dossiers criminels ni le faire profiter de son remarquable service d’espionnage, Tibère avait dû recourir à une autre méthode. Il fit décréter que si quelqu’un était reconnu coupable de complot contre l’État ou de blasphème contre le Dieu Auguste, ses biens seraient confisqués et partagés entre ses accusateurs. Les complots étaient moins faciles à prouver que les blasphèmes. Parmi ceux-ci, le premier cas qui se présenta fut celui d’un mauvais plaisant – un jeune boutiquier qui se trouvait près de Tibère sur la place du Marché au moment du passage d’un enterrement. Il s’élança et murmura quelques mots à l’oreille du cadavre. Tibère demanda ce qu’il avait dit. Le jeune homme expliqua qu’il priait le mort de dire à Auguste, quand il le rencontrerait en bas, que son legs au peuple de Rome n’avait pas encore été payé. Tibère fit arrêter et exécuter l’homme pour avoir parlé d’Auguste comme si c’était une ombre ordinaire et non pas un Dieu immortel : il dit qu’il l’envoyait se convaincre par lui-même de son erreur.
On vit apparaître une classe de mouchards professionnels qui pouvaient à volonté machiner une accusation contre tous ceux qu’on leur indiquait comme ayant encouru le déplaisir de Tibère. Ainsi les vrais dossiers criminels devenaient superflus. Séjan servait d’intermédiaire entre l’Empereur et ces misérables. Une des premières victimes fut un jeune homme appelé Libo, que Séjan avait représenté comme dangereux à Tibère. Celui-ci, pour couvrir ses relations avec Thrasylle, avait renvoyé de Rome tous les diseurs de bonne aventure et interdit de consulter ceux qui pouvaient rester en secret : cependant il en avait laissé exprès quelques-uns à condition qu’ils donnassent leurs séances en présence d’un agent impérial dissimulé dans la pièce. Un sénateur devenu mouchard persuada Libo d’aller en consulter un. L’agent caché prit note de ses questions : elles étaient plutôt sottes que suspectes : il voulait savoir s’il deviendrait riche, s’il serait jamais le premier à Rome, et ainsi de suite. Mais on l’arrêta, et à son procès on produisit un faux document soi-disant trouvé dans sa chambre à coucher par des esclaves ; c’était une liste, apparemment écrite de sa main, de tous les membres de la famille impériale et des principaux sénateurs, avec de curieux caractères chaldéens et égyptiens inscrits en face de chaque nom dans la marge. Or ceux qui consultaient un magicien étaient bannis, mais ceux qui se livraient eux-mêmes à la magie étaient condamnés à mort.
Libo nia que le document lui appartînt, et le témoignage des esclaves, même sous la torture, n’était pas suffisant pour le faire condamner, un témoignage d’esclave n’étant valable qu’en cas d’inceste. Quant à ses affranchis, on ne put les décider à déposer contre lui. Sur l’avis de Séjan, Tibère fit donc décréter que désormais les esclaves d’un homme accusé d’un crime capital pourraient être rachetés par le président du tribunal pour que leur témoignage sous la torture devînt valable. Libo, qui n’avait pas pu trouver d’avocat assez courageux pour le défendre, vit qu’il était perdu. Il demanda l’ajournement de la séance au lendemain, l’obtint, rentra chez lui et se tua. Le procès
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