Moi, Claude
n’en continua pas moins selon les règles : Libo fut reconnu coupable et ses biens partagés entre ses accusateurs, parmi lesquels se trouvaient quatre sénateurs. Tibère dit seulement qu’il était dommage que le jeune homme se fût tué, car il aurait intercédé pour sa vie.
Le seul à protester publiquement fut un nommé Calpurnius Pison. Il déclara en plein Sénat qu’écœuré de l’atmosphère d’intrigue politique et de corruption qui régnait à Rome, il se retirait pour de bon dans un village perdu du fond de l’Italie. Là-dessus il sortit. Son discours fit sur la Chambre une profonde impression. Tibère le fit rappeler et le félicita de son indépendance d’esprit. Mais ne valait-il pas mieux employer ces nobles qualités à relever la morale de Rome que de les enterrer dans un hameau perdu des Apennins, parmi des bergers et des brigands ? Calpurnius fut obligé de rester. Peu de temps après il prouva son « ardeur et son indépendance d’esprit » en citant la vieille Urgulanie devant le tribunal pour dettes. Quand cette dernière reçut la citation qui la convoquait sur-le-champ, elle ordonna à ses porteurs de la conduire tout droit au palais de Livie. Calpurnius la suivit. Dans le vestibule il rencontra Livie elle-même, qui voulut le renvoyer : il répondit poliment, mais avec fermeté, qu’Urgulanie devait le suivre, à moins qu’elle ne fût trop souffrante pour sortir, ce qui évidemment n’était pas le cas. Les Vestales elles-mêmes n’étaient pas dispensées de paraître en justice lorsqu’on les y citait.
Livie protesta que la conduite de Calpurnius était injurieuse pour elle et que son fils, l’Empereur, saurait la venger. Elle envoya chercher Tibère, qui tenta d’arranger les choses. Il quitta le palais en compagnie de Calpurnius et s’achemina avec lui vers le tribunal en causant de choses et d’autres. Les amis de Calpurnius essayèrent de lui faire retirer sa plainte, mais il répondit qu’il était vieux jeu : il aimait qu’on lui payât ce qu’on lui devait. Cependant le procès n’eut pas lieu. Livie fit partir un messager à cheval, avec toute la somme en or dans ses sacs d’arçon, qui rattrapa Calpurnius et Tibère devant la porte du tribunal.
Mais je parlais des mouchardages et de leur effet démoralisant sur la vie de Rome. J’allais signaler que pendant le séjour de Germanicus dans la ville il n’y en eut pas un seul : on avait recommandé aux mouchards de se tenir cois. Tibère était dans ses bons jours : ses discours au Sénat étaient des modèles de franchise. Séjan se tenait à l’arrière-plan ; Thrasylle avait été envoyé à la villa de Tibère dans l’île de Capri ; Tibère semblait n’avoir d’autre ami intime que l’honnête Nerva, qu’il consultait à tout propos.
Pour moi, je restai près d’un an à Carthage. L’ancienne ville avait été rasée jusqu’au sol : la nouvelle, bâtie par Auguste au sud-est de la péninsule, était destinée à devenir la principale ville d’Afrique. C’était la première fois depuis ma petite enfance que je quittais l’Italie. Je trouvai le climat épuisant, les indigènes sauvages, malades et écrasés de travail, les colons romains stupides, querelleurs, avides et arriérés. Les essaims inconnus d’insectes rampants et volants me parurent particulièrement horribles. Mais ce dont je souffrais le plus, c’était de l’absence totale de campagne et de bois. À Tripoli il n’existe rien entre la terre cultivée – vergers de figuiers et d’oliviers, champs de blé – et le désert nu semé de pierres et d’épines.
J’habitais chez le gouverneur, qui se trouvait être Furius Camillus, l’oncle de ma chère Camille. Il se montra très bon pour moi. Dès mon arrivée il me dit quels services lui avait rendus mon Sommaire des Balkans et déclara que l’ouvrage aurait dû me valoir une récompense officielle. Il fit tout son possible pour me faciliter la consécration du temple et obtenir que les provinciaux me témoignassent le respect dû à mon rang. Je n’avais pas grand-chose à faire : Furius me conseilla d’en profiter pour rassembler les matériaux d’une histoire complète de Carthage. Il n’en existait pas dans les bibliothèques de Rome. Des indigènes qui cherchaient un trésor dans les ruines venaient précisément de découvrir les archives de l’ancienne ville : elles se trouvaient entre ses mains, et si je voulais m’en servir elles
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