Moi, Claude
étaient à moi.
19
Quand on me rappela enfin à Rome, Germanicus était déjà parti pour l’Orient, où le Sénat l’avait nommé gouverneur en chef de toutes les provinces. Agrippine et Caligula, maintenant âgé de huit ans, l’accompagnaient. Les autres enfants restaient à Rome avec ma mère. Germanicus était désappointé de laisser la guerre de Germanie inachevée, mais il résolut de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de cultiver son esprit en visitant les endroits fameux dans l’histoire ou la littérature. Il visita ainsi la baie d’Actium, où il vit le camp d’Antoine et la chapelle commémorative dédiée à Apollon par Auguste. En tant que petit-fils d’Antoine il trouvait à ce lieu un attrait mélancolique. Il expliquait le plan de la bataille à Caligula, lorsque l’enfant l’interrompit en riant sottement : « Oui, papa, mon grand-père Agrippa et mon arrière-grand-père Auguste ont flanqué à ton grand-père Antoine une belle raclée. Je me demande comment tu n’as pas honte de me raconter l’histoire. » Ce n’était pas la première fois que Caligula parlait à Germanicus avec insolence. Celui-ci comprit alors qu’il était inutile de traiter l’enfant avec la douceur et l’affection qu’il montrait aux autres. Ce qu’il fallait à Caligula, c’était une discipline stricte et des châtiments rigoureux.
À Thèbes, en Béotie, ils virent la chambre natale de Pindare ; dans l’île de Lesbos la tombe de Sapho. Ce fut là que naquit une autre de mes nièces, à laquelle on donna le nom malheureux de Julie, mais que nous appelâmes toujours Lesbie en souvenir de l’endroit où elle était née. Ensuite Germanicus visita Byzance, Troie et les fameuses villes grecques d’Asie Mineure. De Milet il m’écrivit une lettre où il me racontait son voyage en termes ravis : il ne regrettait plus d’avoir quitté la Germanie.
À Rome, Séjan ravivait les anciennes craintes de Tibère au sujet de son neveu. Il lui rapporta une remarque faite par Germanicus pendant un dîner auquel assistait un de ses espions. « Les cadres des régiments de l’Est, avait-il dit, ont sans doute besoin du même remaniement que j’ai fait subir à ceux du Rhin. » La phrase, évidemment, prêtait à équivoque. Tibère prit peur et jugea bon de consulter Livie. Celle-ci n’hésita pas. On désigna comme gouverneur de Syrie un certain Cnaeius Pison, qui se trouva ainsi commander la plus grande partie des régiments de l’Est sous l’autorité suprême de Germanicus, et on lui fit savoir qu’on était disposé à le soutenir en cas de difficultés avec ce dernier. Le choix était judicieux. Cnaeius Pison, oncle de ce Pison qui avait offensé Livie, était un vieillard plein de morgue ; vingt-cinq ans plus tôt, nommé par Auguste gouverneur de l’Espagne, il s’était fait haïr des Espagnols par son avidité et sa cruauté. Il était criblé de dettes : en lui insinuant qu’il pouvait agir à sa guise en Syrie à condition de contrecarrer Germanicus, on semblait l’inviter à reconstituer la fortune jadis faite en Espagne et depuis longtemps dilapidée. Il détestait Germanicus pour son sérieux et sa piété et le traitait de vieille femme superstitieuse ; il était en même temps très jaloux de lui.
Germanicus, en visitant Athènes, avait montré son respect pour la gloire antique de la ville en arrivant aux portes escorté d’un seul homme d’armes. Au festival donné en son honneur, il avait fait un long discours à la louange des poètes, des soldats et des philosophes athéniens. Pison, à son tour, traversa Athènes pour se rendre en Syrie, mais comme la ville n’appartenait pas à sa province et qu’il ne se donna pas la peine d’être courtois envers les Athéniens, ceux-ci ne prirent pas non plus celle de l’être envers lui. Un certain Théophile, frère d’un des créanciers de Pison, venait d’être condamné pour faux par l’Assemblée municipale. Pison demanda son pardon comme une faveur personnelle : on le lui refusa, ce qui l’irrita fort. Si Théophile avait été acquitté, son frère eût certainement remis la dette. Dans un discours violent, Pison déclara que les Athéniens de nos jours n’avaient aucun droit de s’identifier avec les grands Athéniens du temps de Périclès, de Démosthène, d’Eschyle et de Platon. Les anciens Athéniens avaient été exterminés par la guerre et les massacres ; ceux qui restaient
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