Moi, Claude
désobéissance. S’il n’en avait pas d’autre que l’animosité personnelle déjà prouvée par son discours d’Athènes et son ingratitude de Rhodes, l’Empereur en serait informé. Germanicus se plaignit ensuite que, pour un régiment au repos dans un cantonnement sain, le 10 e se trouvât dans un état révoltant de saleté et d’indiscipline.
Pison ricana : « Oui, ils sont dégoûtants, n’est-ce pas ? Qu’aurait pensé le peuple arménien si je les avais envoyés représenter chez lui la puissance et la majesté romaines ? » (« La puissance et la majesté romaines » était une des expressions favorites de mon frère.)
Germanicus, gardant son calme à grand-peine, dit que cet état de choses semblait dater seulement de l’arrivée de Pison dans la province et qu’il écrirait à l’Empereur à ce sujet.
Pison implora ironiquement son pardon, non sans ajouter une remarque injurieuse sur le bel idéal de la jeunesse qui doit souvent, en ce monde cruel, céder à une politique moins élevée mais plus pratique.
Germanicus l’interrompit, les yeux brillants. « Souvent, Pison, mais pas toujours ! Demain, par exemple, je siégerai près de toi à la Cour d’appel : nous verrons si le bel idéal de la jeunesse y rencontrera aucun obstacle et si les provinciaux devront renoncer à obtenir justice par la faute d’un sexagénaire incompétent, avide, sanguinaire et débauché ! »
Là-dessus l’entretien prit fin. Pison rendit immédiatement compte à Tibère et à Livie de ce qui s’était passé. Il cita la dernière phrase de Germanicus de façon à faire croire à Tibère que c’était lui le « sexagénaire incompétent, avide, sanguinaire et débauché ». Tibère répondit qu’il avait entière confiance en Pison. Si une certaine personne continuait à s’exprimer et à agir d’une manière aussi déloyale, toutes les mesures prises par un subordonné pour tenir cette déloyauté en échec seraient sans nul doute agréables au Sénat et au peuple de Rome. Pendant ce temps, Germanicus siégeait au tribunal et les provinciaux en appelaient à lui des décisions injustes prises par les juges. Au début Pison essaya de l’embarrasser en faisant de l’obstruction légale, mais quand il vit que Germanicus restait calme et continuait à siéger sans tenir compte des heures de repas ni de sieste, il se dispensa simplement d’assister aux séances sous prétexte de mauvaise santé.
La femme de Pison, Plancine, était jalouse d’Agrippine parce que celle-ci, comme épouse de Germanicus, avait le pas sur elle dans toutes les cérémonies. Elle inventait mille petits moyens de lui être désagréable, comme par exemple de lui faire manquer de respect par des subalternes, qu’on disait ensuite avoir agi par ignorance. À la fin, Agrippine la remit à sa place en public. Plancine chercha autre chose. Un matin, en l’absence de Pison et de Germanicus, elle se mit à la tête des escadrons de cavalerie et leur fit exécuter une série de mouvements burlesques en face du quartier général de Germanicus. Elle les précipita dans un champ de blé, leur fit charger une rangée de tentes vides, jeta les escadrons les uns contre les autres et fit sonner tous les appels possibles, du couvre-feu jusqu’à l’alerte. Finalement elle les fit galoper en rond, rétrécissant toujours le cercle jusqu’à ne plus avoir au centre que l’espace de quelques pas. Alors elle commanda : « Demi-tour ! » Jamais, dans toute l’histoire de la cavalerie, on n’avait vu un gâchis pareil. Les hommes les plus turbulents l’augmentaient encore en piquant de leurs poignards les chevaux de leurs voisins pour les faire cabrer. Plusieurs soldats furent grièvement blessés ; l’un d’eux y resta. Agrippine envoya un jeune officier d'état-major dire à Plancine de cesser ce jeu ridicule. Plancine répondit, en parodiant les paroles d’Agrippine au pont du Rhin : « Jusqu’au retour de mon mari c’est moi qui commande la cavalerie. J’entraîne les hommes en vue de l’invasion des Parthes. » Des ambassadeurs parthes venaient, en effet, d’arriver au camp : ils contemplaient cette exhibition avec un mépris étonné.
Vonones, avant d’être roi d’Arménie, avait été roi des Parthes, mais ceux-ci s’étaient bientôt débarrassés de lui. Son successeur envoyait ses ambassadeurs à Germanicus pour lui proposer une alliance : il demandait en échange que Vonones fût expulsé de
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