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Mon Enfant De Berlin

Mon Enfant De Berlin

Titel: Mon Enfant De Berlin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Anne Wiazemsky
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Tandis que Claire lit, le silence se fait dans la cuisine. Un silence tel que l’on entend les bruits de la rue, les rares moteurs de voitures. Sa lecture terminée, Claire a un long soupir théâtral suivi d’un haussement d’épaules. Puis, sur le ton de la plainte :
    — C’est invraisemblable !
    — Quoi, mon chou ?
    Comme elle tarde à répondre, Mistou poursuit à l’intention de ses compagnes :
    — C’est invraisemblable ce qu’elle peut dire souvent : « C’est invraisemblable ! »
    Les rires qui fusent décident Claire.
    — Wia m’écrit que le témoignage d’un général américain le lave intégralement des accusations de trafics illicites avec les Allemands. Ce général certifie qu’il était bien prisonnier durant toute la guerre, qu’il a combattu aux côtés des Soviétiques, etc., etc., etc. Toute personne normale devrait se réjouir mais Wia, non. Il est obsédé par sa soi-disant appartenance à la Cagoule, parle de son honneur souillé, etc., etc., etc.
    — Vous ne pouvez pas comprendre.
    C’est la nouvelle venue, Olga, qui vient de s’exprimer d’une voix à la fois hésitante et ferme. Une légère rougeur sur le visage et un imperceptible tremblement de tout le corps indiquent qu’elle fait un effort pour parler. Le silence qui suit ses paroles paraît l’impressionner davantage encore, elle peine à poursuivre. Mais sur un geste d’encouragement de Plumette et après une longue inspiration :
    — Vous êtes françaises depuis toujours. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que d’être obligé de tout quitter, sa maison, ses biens, sa patrie, tout. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est d’errer d’un pays à l’autre, de changer de langue, de culture. Vous ne pouvez pas concevoir une seconde ce que c’est que d’être apatride. Il faut l’avoir vécu dans sa chair pour comprendre. Apatride... Je suis sûre que ce mot ne vous évoque rien... Alors, quand on a enfin trouvé un pays qui vous accueille, un pays qui offre la possibilité de tout recommencer à zéro, alors, on s’accroche, on veut en être digne. Et quand ce même pays vous fait l’honneur de vous accorder la nationalité française, on se doit d’être parfait, on se doit de le servir, cent fois, mille fois mieux que tout citoyen français de naissance. Wia ne peut pas supporter qu’on le soupçonne, avec cette histoire de Cagoule, d’avoir porté atteinte à l’ordre de son pays. Vous devez toutes faire un effort, comprendre sa fierté d’être français, comprendre le pourquoi de cet orgueil blessé et comprendre qu’il ne trouvera pas le repos avant d’être officiellement innocenté.
    Olga a parlé d’une traite, sans reprendre son souffle, en devenant de plus en plus rouge. Un peu de sueur perle sur son front. Les jeunes femmes présentes la fixent en silence, comme tétanisées. Olga a un petit sourire embarrassé qui se veut une excuse et se tourne vers Claire.
    — Ne m’en voulez pas pour ma fougue, Claire. Je suis très timide et comme tous les timides, quand je me lance... D’ailleurs je m’adressais autant aux autres qu’à vous. C’est par souci pour Wia, pour que vous le compreniez mieux... Surtout vous, Claire, il vous aime tellement ! Claire ?
    Mais Claire, depuis quelques secondes, semble perdue dans une étrange rêverie. Comme cela lui arrive parfois, elle s’est absentée loin, très loin.

 
    La lune, haut dans le ciel, éclaire la route comme en plein jour. Aux forêts de pins allemandes succèdent les forêts et les plaines françaises. Claire conduit l’automobile sans fatigue, avec cette allégresse qu’elle éprouve souvent quand elle roule au cœur de la nuit. Par la fenêtre entrouverte pénètre un air frais, parfois chargé d’odeurs d’arbres et de terre, qui l’aide à rester éveillée. Claire sifflote des rengaines à la mode, les hymnes nationaux qu’elle a appris à Berlin. Elle a le sentiment de sortir de l’hiver, d’aller au-devant du printemps, au-devant d’une vie libre, harmonieuse et apaisée. Elle en oublierait presque qu’elle n’est pas seule dans la voiture.
    À l’arrière, Wia et Léon de Rosen dorment profondément. Elle entend la respiration sifflante de l’un, les rares ronflements de l’autre. Ils se sont succédé au volant après leur départ de Berlin, en fin d’après-midi. Les derniers trois cents kilomètres jusqu’à Paris reviennent à Claire. C’est elle qui a imposé ce partage,

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