Mon Enfant De Berlin
guerre. Elle dirait n’importe quoi pour maintenir cette petite, si petite, étincelle de vie dans les yeux du garçon.
Mais c’est lui, tout à coup, qui se met à parler d’une voix basse entrecoupée de violentes quintes de toux. « Non, tais-toi, ça t’épuise. » Il lui obéit. Des larmes de douleur, de désespoir, Claire ne sait pas, se mettent à couler. Claire n’a rien compris de ce qu’il a tenté de lui dire mais elle croit avoir deviné. Elle et les autres ambulancières avaient été très frappées, dès leurs premières missions dans les camps soviétiques, par une terreur commune chez tous les jeunes gens : « Ne me laissez pas mourir ici », disaient-ils. Ici, c’est-à-dire à Berlin, en Allemagne, loin de leur pays d’origine. « Tu vas rentrer en Grèce », murmure Claire qui en doute mais qui veut continuer à lui insuffler un peu de vie.
Plus d’un quart d’heure s’est écoulé depuis le départ de Rolanne. Sans son manteau, Claire commence à avoir très froid. Mais elle continue de caresser le visage, les cheveux du garçon, elle continue de lui parler. Il a cessé de pleurer, il semble suspendu à ses paroles, au contact de la main sur sa peau. Claire sait bien qu’il ne parle pas le français, qu’il ne peut pas la comprendre, mais elle continue. Elle raconte que les ambulances de la Croix-Rouge, à Berlin, avaient été conçues pour la guerre de Libye ; que c’est pour cette raison qu’elles ont des bâches en toile et qu’ils ont si froid.
— Avant, pendant la guerre, la Croix-Rouge disposait de petites Amilcar. Tu aurais dû me voir au volant, j’avais fière allure.
Les paupières du garçon se ferment, il ne réagit plus aux paroles, aux caresses. Claire prend peur : ce n’est pas la première fois que quelqu’un meurt dans ses bras, elle reconnaît les signes annonciateurs de l’agonie. Mais elle entend son prénom crié par Rolanne, un bruit de bottes sur le sol gelé, près de la voiture.
De retour à l’appartement, Claire et Rolanne qui ont pris chacune un bain très chaud pour se réchauffer, se retrouvent à la cuisine, devant une tasse de thé. Elles cherchent à se convaincre que le jeune Grec est sauvé, qu’il guérira. Elles refusent le diagnostic négatif du médecin militaire qui l’a fait hospitaliser.
— Il va s’en sortir, s’obstine Claire. C’est comme un engagement entre nous, comme s’il me l’avait promis quand nous luttions tous les deux à l’arrière de l’ambulance et après. Tu te souviens ?
— Oui, Clarinette.
À peine dehors, le garçon avait repris connaissance et cherché Claire des yeux. Puis, avec une force insoupçonnable, il avait attrapé sa main pour ne plus la lâcher. Durant le trajet jusqu’au lit d’une salle commune surpeuplée de l’hôpital, Claire avait continué à lui parler, à raconter n’importe quoi, tout ce qui lui passait par la tête pour le maintenir éveillé. Elle avait promis de revenir le lendemain, les jours suivants.
— C’est bête de s’attacher comme ça à un gosse inconnu... S’il ne s’en sort pas...
— Non, Clarinette, c’est normal et c’est bien ce qui rend notre travail parfois si douloureux.
Lettres de Claire :
« 22 décembre 1946
Chère maman,
Je sais qu’il fait très froid à Paris. Ici, depuis dix à quinze jours, cela varie entre – 10 et – 15. Malgré le chauffage qui craque de temps en temps, nous ne sommes véritablement pas à plaindre. Et vous, n’avez-vous pas trop froid ?
Rien de nouveau ici. Le temps passe avec une rapidité déconcertante ce dont je ne me plains pas.
Parlons de moi puisque je crois que cela vous intéresse.
Je porte très bien mes quatre mois sonnés. Je n’ai pas beaucoup changé depuis Paris et qui ne sait pas, ne s’aperçoit encore de rien. À part cette crise due au triste et mauvais régime que j’ai ici, je vais bien et n’ai presque jamais la migraine.
Mon mal s’est porté sur les reins. J’ai eu mal à ne pas pouvoir bouger. Je me fais masser tous les matins et cela va beaucoup mieux.
Maintenant, ma maman, je voudrais vous souhaiter un bon Noël. Je suis un peu triste d’être loin de vous pour ce jour-là. Rosen quitte Paris ce soir. Il y a déjà quatre arbres de Noël dans la maison et je crois que nous aurons une très jolie fête.
Wia me charge de vous embrasser très tendrement. Il est actuellement à la tête de la division et joue avec fureur à
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