Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
Vom Netzwerk:
jamais en service. Il semblait se considérer comme l’incarnation de la discipline et du prestige nazis. Quand la religieuse s’adressa à lui, il rectifia la position et, l’air guindé, il lui accorda, d’un signe de tête, ce qu’elle demandait.
    Elle revint avec le médecin chef, qui me considéra avec contrariété en ne cachant pas son mépris. Il était visiblement exaspéré.
    — Êtes-vous un homme, oui ou non ? Si vous tenez absolument à mourir, que voulez-vous que j’y fasse ? Amenez-lui un fauteuil roulant, ma sœur.
    Je continuais à geindre. Le docteur hurla :
    — Cessez immédiatement vos cris ! Cette religieuse va vous emmener vous confesser. Respectez un peu les autres malades, vous n’êtes pas notre unique patient.
    On apporta le fauteuil roulant. L’infirmière m’enveloppa dans un peignoir et m’aida à m’y installer. Elle me roula hors de la salle, le garde nazi marchant derrière nous comme à la parade. Je percevais dans le lointain le faible ronronnement du chœur des octogénaires qui reprenait, comme si un invisible chef d’orchestre avait levé sa baguette.
    La chapelle de l’hôpital se trouvait au rez-de-chaussée. Je me confessai à un vieux prêtre sympathique, qui parut s’intéresser beaucoup à moi. Ma confession terminée, il mit ses mains sur mes épaules et me donna sa bénédiction :
    — N’ayez pas peur, mon enfant. Gardez votre foi en Dieu. Nous connaissons tous vos souffrances pour notre Pologne bien-aimée. Tout le monde dans cet hôpital désire vous venir en aide.
    Ma confession me laissa dans un état de paix et de tranquillité qui ne dura pas longtemps. Les jours suivants, je dus concentrer ma volonté pour me donner l’aspect d’un moribond. Mon corps obéissait d’ailleurs à cette nécessité. Les psychiatres modernes ont insisté sur les rapports étroits qui existent entre l’existence psychique et physique de l’individu. Ma propre expérience m’a montré l’exactitude de cette théorie. J’étais incapable de manger, de lever les bras, de m’habiller sans aide ou d’aller jusqu’aux lavabos. En dépit des sédatifs que j’absorbais, j’avais continuellement mal à la tête. Les accès de fièvre alternaient avec les périodes de refroidissement, si bien que ma température était toujours anormale.
    Les médecins m’avaient, en conséquence, donné l’autorisation d’être emmené chaque jour à la chapelle. Un jour la religieuse qui m’y conduisait dans le fauteuil roulant s’agenouilla à mes côtés. J’examinai sa physionomie ouverte et courageuse et je décidai de risquer le tout pour le tout. Je savais que je ne pourrais pas lui parler tant qu’il y aurait d’autres personnes dans la chapelle, aussi je lui demandai de bien vouloir attendre que j’eusse fini ma prière. Elle y consentit. Assis dans mon fauteuil, j’écoutais le faible bruissement du rosaire glissant entre ses doigts. La fraîcheur de la chapelle, son calme reposant, le parfum familier et un peu exotique de l’encens, la tranquille fermeté de la religieuse me donnaient de l’assurance. J’étais certain de pouvoir compter sur elle. Finalement, nous demeurâmes seuls. Je me penchais vers elle en murmurant :
    — Ma sœur, je sais que vous êtes un noble cœur. Mais il est important pour moi de savoir si vous êtes aussi une bonne Polonaise…
    Elle me fixa un moment et, tout en continuant de réciter son rosaire, elle dit simplement :
    — J’aime la Pologne.
    Je n’avais pas besoin de cette réponse, je l’avais lue dans ses yeux. Je lui parlais rapidement, à voix basse :
    — Je veux vous demander de faire quelque chose, mais avant de vous apprendre de quoi il s’agit, je dois vous dire que cela peut être dangereux pour vous. Naturellement, vous êtes libre de refuser.
    — Dites ce que vous attendez de moi. Si je peux le faire, je le ferai.
    — Merci. Je savais que vous accepteriez. Voilà ce que j’aimerais que vous fassiez. Il y a dans la ville une famille du nom de… Ils ont une fille, Stéfi. Allez la trouver et racontez-lui ce qui m’est arrivé. Dites-lui que c’est Witold qui vous envoie.
    Witold était mon pseudonyme dans la clandestinité. Je lui donnai l’adresse.
    — J’irai aujourd’hui, dit-elle calmement.
    Après lui avoir fait cette demande, je me sentis soulagé d’un grand poids. Je ne m’attendais pas à ce qu’il en sortît quelque chose de précis, mais au moins j’avais le sentiment que

Weitere Kostenlose Bücher