Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
lit, en regardant l’indolent gardien nazi qui s’ennuyait visiblement. Une jeune fille, que je ne connaissais pas, entra timidement dans la chambre. C’était une fille plutôt laide, aux traits grossiers, mais pleins de bonté. Elle était vêtue avec élégance et portait un bouquet de roses. Je fus interloqué quand elle me parla en allemand.
— Vous comprenez l’allemand ? demanda-t-elle doucement.
Ma réponse fut tranchante et plutôt hostile.
— Oui. Que voulez-vous ?
Je voyais l’homme de la Gestapo commencer à s’agiter sur sa chaise et à la regarder avec curiosité. Mais la situation ne me semblait présenter aucun danger. Je présumais que la jeune fille s’était trompée de chambre. J’allais l’arrêter, lui demander si elle ne se méprenait pas mais elle parla précipitamment, avec timidité.
— Je suis allemande. Je viens d’être opérée de l’appendicite. Tous les malades de l’hôpital ont entendu parler de vous et leur sympathie vous est acquise. J’aimerais que vous acceptiez ces roses afin que vous ne pensiez pas que tous les Allemands sont aussi mauvais que ceux que vous avez rencontrés pendant la guerre.
J’étais ébahi. Elle ne se doutait pas, semblait-il, que le civil assis près de mon lit était un agent de la Gestapo. Je repris suffisamment mes esprits pour laisser échapper :
— Mais je ne vous ai jamais vue… Je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais parlé. Pourquoi venir m’ennuyer ?
Elle parut vexée et embarrassée.
— Je vous en prie, ne soyez pas aussi amer. Apprenez à pardonner. Vous serez plus heureux.
Elle posa les fleurs sur le lit et s’en alla. Le policier la suivait comme l’eût fait un chat.
— Merci, lui criai-je, désespérément. Mais je ne vous connais pas. Je ne vous ai jamais vue…
L’agent de la Gestapo se leva nonchalamment de sa chaise, traversa la chambre et barra la porte.
— Voilà un charmant discours, dit-il.
Il lui saisit le bras, la força à faire demi-tour et à revenir près du lit. Quand elle l’entendit parler allemand, elle pâlit et se mit à trembler. Je la plaignais du fond du cœur. J’essayais d’intervenir auprès du garde.
— Elle n’avait pas l’intention de mal faire. Je vous affirme que je ne la connais pas. Laissez-la partir. Vous la terrifiez, ne le voyez-vous pas ?
Il me regarda froidement.
— Ménagez votre souffle, vous en aurez besoin plus tard.
Il saisit le bouquet de roses et le réduisit en miettes pour y chercher un message caché. Il serra alors le poignet de la jeune fille dans ses doigts et il l’entraîna brutalement hors de la pièce.
Une heure après, un fonctionnaire de la Gestapo que je n’avais jamais vu me rendit visite. C’était un agent d’une espèce plus subtile, plus raffinée ; il appartenait au type d’inspecteur que la Gestapo employait à déceler les secrets qu’elle ne pouvait obtenir par ses méthodes habituelles. C’était un homme d’âge moyen ; il portait des lunettes à monture d’écaille, était vêtu avec recherche et avait l’apparence d’un universitaire. Sa tactique, bien qu’elle révélât plus de finesse que n’en avaient déployé mes tortionnaires, était cependant suffisamment transparente.
Il se présenta d’une façon réservée et digne, s’enquit de ma santé. Il fit quelques observations au hasard, sur les hôpitaux, la science, la société et la guerre. Puis, comme si cela lui était venu sans y avoir pensé, il soupira et déclara :
— Je croyais que des gens possédant un tant soit peu d’expérience politique auraient imaginé un stratagème plus ingénieux que de se servir d’une petite fille porteuse de roses.
Il s’arrêta, quêtant une réponse qui ne venait pas.
— Je voulais simplement critiquer, continua-t-il sans relever son échec, la faculté de jugement de vos collègues, sans vouloir condamner vos actes ; ce qui n’est pas mon rôle à présent. Vous allez quitter cet hôpital d’ici deux heures.
Il observa l’effet que produisait sur moi cette nouvelle.
J’essayais de conserver un visage calme et inexpressif.
— Bien entendu, nous savons que ce transport est très dangereux pour vous, qu’il peut même vous être fatal. Nous ne sommes pas tout à fait les monstres que l’on dit, mais nous n’avons pas le choix, car vos collègues savent évidemment où vous vous trouvez…
Il s’arrêta, enleva ses lunettes, tira son mouchoir de sa poche et commença
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