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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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du fait que je n’avais eu aucune précision sur le plan d’évasion. Pour ne pas paraître mécontent ou exigeant, j’avais retenu les questions que j’avais sur le bout de la langue pendant toute la durée de sa visite. Cependant les événements allaient bientôt se dérouler avec une rapidité beaucoup plus grande que je ne l’avais pensé.
    Le soir même, le jeune docteur à la figure fraîche et ingénue vint me faire ce que je croyais être un examen de routine. Quand il eut terminé, il scruta mon visage avec un certain embarras, comme s’il essayait d’y lire mes chances de guérison. Puis, sur un ton normal, une nuance d’humour dans la voix, il me dit lentement :
    — Eh bien vous allez être libéré cette nuit…
    Je sursautai comme si j’avais été piqué. Dressé sur mon séant, je lui dis avec un sifflement d’indignation :
    — Vous êtes fou ! Ne parlez pas si fort. La sentinelle va vous entendre. Elle est partie pour un instant, probablement chercher de l’eau. Pour l’amour du Ciel, faites attention !
    Il rit.
    — Ne vous inquiétez pas. Nous l’avons acheté. Il ne reviendra pas tant que je serai ici. Et maintenant, écoutez-moi bien. Tout est arrangé. À minuit, je passerai dans la salle en allumant une cigarette. Ce sera le signal. Alors, sautez sur vos vêtements et descendez au premier étage. Vous trouverez une rose sur le rebord d’une fenêtre. Laissez-vous tomber de cette fenêtre. Il y aura des hommes en bas lxxxv .
    Il s’arrêta un instant.
    — Tout est-il bien clair ?
    Mon cœur battait la chamade.
    — Oui, j’ai parfaitement compris.
    Et je répétai ses instructions d’une voix contenue.
    Il sourit en me tapotant amicalement l’épaule.
    — Surtout du calme. Tout est prêt, cela va marcher ! Bonne chance. Il cligna de l’œil et sortit.
    Il ne pouvait me donner d’avis plus difficile à suivre. Pour moi, il n’était plus question de calme ni de repos. Mille doutes surgissaient dans mon esprit. Je pensais fiévreusement aux précautions à prendre, aux complications qui pourraient survenir. Je passai presque tout mon temps à observer le garde qui, peu après, avait repris son poste. Avait-il simplement fait semblant de se laisser acheter pour tendre un piège à mes camarades ? Il semblait tellement imbu de la doctrine nazie ! Je me sentis rassuré quand il tourna la tête vers moi. Il portait sur ses lèvres les stigmates de la cupidité et du contentement de soi. J’interprétai ce signe comme l’indication de la satisfaction que lui causait son heureuse fortune.
    Un peu avant minuit, le garde fit semblant de tomber dans un sommeil profond. La tête affaissée sur la poitrine, il poussait de sonores ronflements. À l’instant précis où la cloche de l’église sonnait minuit, la silhouette du docteur apparut dans l’embrasure de la porte. Il tira une cigarette de sa poche, l’alluma avec des gestes lents, bien visibles et partit. J’inspectai sommairement la salle. Un mélange rassurant de ronflements, de bruits de respiration, de grognements de gens endormis s’élevait de tous les côtés. Je me glissai hors du lit, j’enlevai mon pyjama d’hôpital, que je cachai sous la couverture. Je pris la pilule de cyanure à la main, prêt à l’avaler en cas de danger. Complètement nu, je descendis sur la pointe des pieds jusqu’au premier étage.
    Un peu embarrassé, j’examinai le couloir à peine éclairé. J’avais perdu momentanément le sens de l’orientation, et comme il y avait deux escaliers semblables, je ne pouvais dire où étaient la façade ou l’arrière de l’hôpital. Dans cette terrible incertitude, je sentis soudain un courant d’air froid dans mon dos. On avait laissé une fenêtre ouverte à mon intention, l’auteur du plan ayant vraisemblablement compris que j’eusse été incapable de l’ouvrir sans aide. Je me dirigeai vers la fenêtre ouverte. Mon cœur bondit d’allégresse lorsque j’aperçus par terre la rose que le vent avait fait tomber. Mes yeux fouillèrent un instant l’opacité de la nuit, puis je grimpai tant bien que mal sur le rebord de la fenêtre et regardai en bas.
    — Qu’est-ce que tu attends ? Saute ! ai-je entendu.
    Je respirai profondément et je sautai. Je sentis la forte étreinte de bras vigoureux. Plusieurs paires de mains m’avaient attrapé avant que je touche le sol. Quelqu’un me tendait un pantalon, quelqu’un d’autre une chemise et une veste, tout en

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