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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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lâchant sur un ton de commandement :
    — Vite ! Habille-toi. Il n’y a pas un instant à perdre… Peux-tu courir ?
    J’acquiesçai sans conviction. Ils étaient pieds nus, comme moi. Nous courûmes dans l’allée, jusqu’à la grille. Je ne savais pas le moins du monde qui pouvaient être mes « sauveteurs », ni à quelle organisation ils appartenaient. Nous fîmes une pause devant la clôture, essoufflés par la course.
    L’un d’entre eux parla :
    — Bon ! Tu n’es pas capable de passer sans aide. Je vais grimper le premier. Vous autres vous le hisserez et moi je le tirerai de l’autre côté.
    Il franchit la grille agilement. Nous fîmes ce qu’il avait indiqué et je ne sais même pas comment je me suis retrouvé de l’autre côté. Nous recommençâmes à courir en direction des champs en évitant les rues pavées. Mes pieds nus commençaient à me cuire et à me faire souffrir. Mes côtes me faisaient mal et j’avais une sensation de brûlure et d’étouffement dans les poumons, à chaque inspiration. Finalement, je trébuchai, je piquai en avant et je m’écroulai sur le sol, haletant.
    — Attendez un instant, dis-je. Il faut que je reprenne mon souffle.
    Je n’ai pas eu le temps d’achever qu’un de mes « sauveteurs », le plus athlétique, se baissa et me chargea sur son épaule comme un sac de pommes de terre. Je devais avoir maigri beaucoup, car il me porta sans vaciller à travers bois. lxxxvi
    Quand nous fûmes bien engagés dans une obscurité protectrice, l’un des hommes poussa un soupir de soulagement.
    — Je crois qu’on peut se reposer un instant ici, suggéra-t-il à celui qui me portait.
    L’autre me déposa sur un tertre, sous un arbre. Je m’appuyai contre l’arbre, essayant de reprendre mes esprits.
    — Tu fumes ?
    Je refusai – la fumée m’aurait assurément achevé.
    — Penses-tu pouvoir marcher tout seul ? me demanda le grand gaillard.
    — Je ne crois pas y arriver. Allons-nous loin ?
    Sans me répondre, il se baissa à nouveau et, d’un coup de reins, me hissa sur son épaule. Ils marchèrent à une allure méthodique et continue pendant un quart d’heure, puis ils sortirent du bois et nous débouchâmes dans un vaste espace découvert. La lune, qui jusque-là était cachée derrière les nuages, émergea du ciel, éclairant une rivière, si bien que j’apercevais le faible éclat argenté de l’eau devant nous lxxxvii . Les hommes s’arrêtèrent et mon porteur me déposa debout sur le sol. L’autre plaça ses doigts dans sa bouche et siffla une note brève et perçante. Deux hommes sortirent des fourrés. L’un tenait un revolver et l’autre un poignard allemand dont la lame brillait, menaçante, au clair de lune. En s’approchant, ils lâchaient à mi-voix des bordées d’injures à l’adresse de Hitler. De temps à autre ils faisaient quelque remarque caustique sur les « désagréments qu’on est toujours sûr d’avoir avec ces intellectuels ». Pendant quelques instants, ils ont tenu conseil avec les « miens ». Ils s’éloignèrent et l’homme qui m’avait porté nous fit marcher en file indienne le long de la rivière. Nous pataugeâmes, enfoncés jusqu’aux chevilles dans la boue, quand au bout de cinq minutes, une silhouette surgit devant nous.
    — Bonsoir, messieurs.
    J’avais devant moi Staszek Rosa lxxxviii . C’était un jeune socialiste de Krakow. Il donnait l’impression d’être un petit coureur de jupons et quelqu’un d’insouciant. Jamais je n’aurais soupçonné qu’il pût avoir un quelconque lien avec la Résistance. Sa vue m’a tellement stupéfié que j’en suis resté sans voix. Il me donna gentiment une tape sur l’épaule :
    — Que t’arrive-t-il, Jan ? Mes félicitations pour ton divorce d’avec la Gestapo. Je parie que ce mariage, tu n’y tenais pas trop, hein ?
    — Merci, Stas, ai-je bredouillé. Où allons-nous maintenant ?
    Rosa sortait déjà un canot des roseaux. Il nous y fit prendre place. Et nous nous éloignâmes de la berge. Nous étions cinq, c’est-à-dire au moins deux de trop pour un canot de cette taille. Le costaud prit les rames. On m’installa devant lui, à gauche. Le courant nous portait vers le milieu de la rivière alors que nous devions gagner la rive opposée au plus vite. Tous les efforts du rameur demeuraient vains. Il jurait et le canot tanguait de plus en plus. À un moment, cessant de me tenir pour détendre mes mains, je passai

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