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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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une femme parlaient en polonais autour de mon lit. Je jugeai, d’après leurs paroles, qu’il s’agissait d’un docteur et d’une infirmière. Le garde devait rôder dans les parages, car le docteur lui adressa la parole sèchement.
    — Votre devoir n’est-il pas de garder la pièce dans le couloir ? Vous ne ferez rien de bon en restant sur mes talons.
    L’homme de garde ne répondit rien et s’en alla.
    Le médecin se pencha sur moi pour examiner mes blessures et refaire mon pansement. Tout en déroulant les bandes sales, pleines de sang coagulé, il me posait des questions dans un chuchotement rapide et inquiet.
    — Où vous ont-ils arrêté ?… Puis-je vous être utile ?… Dois-je avertir quelqu’un de votre arrivée ?…
    Les circonstances n’étaient pas faites pour attirer facilement ma confiance. Je suspectai un piège et je répondis d’un ton chagrin et blessé :
    — Je n’ai personne à qui envoyer de message. Je suis innocent de tout ce dont on m’accuse. Tout ce que je voulais, c’était aller en Suisse. Pourquoi ne voulez-vous pas me croire ?
    — N’ayez pas peur, murmura-t-il. Je ne suis pas un agent provocateur. Tout le personnel – docteurs, infirmières et assistants – est entièrement polonais, et il n’y a pas un seul traître ou renégat parmi nous.
    J’ouvris les yeux et je fixai les siens avec insistance. Il était extrêmement jeune, pour un médecin. Il avait une bonne tête de campagnard, la peau fine couverte de taches de rousseur, une toison de cheveux blonds en désordre. Cette apparence ingénue m’incitait à lui faire mes confidences mais la prudence et la méfiance qui, à ce moment, étaient devenues chez moi une seconde nature refoulèrent cette impulsion. Je ne dis rien.
    Le lendemain matin, une religieuse entra dans la salle – comme à Presov, toutes les infirmières étaient des religieuses appartenant à un couvent du voisinage. Elle me fit un signe de tête et, sans mot dire, me mit un thermomètre dans la bouche. Elle m’observait, impassible. Puis elle retira le thermomètre et le lut. Je regardai anxieusement la colonne de mercure. Elle marquait 37° 8. Elle prit la feuille de température et y inscrivit gravement le chiffre de 39° 4, puis elle quitta la salle. Elle revint très vite avec un homme âgé, qui se présenta comme le médecin chef. Il éleva la voix et m’apostropha sévèrement :
    — Écoutez-moi bien, jeune homme. Vous êtes très malade, mais vous guérirez si vous le voulez. Nous ne pouvons vous donner qu’un traitement. Si vous voulez vivre, il faut vous reposer et éviter toute émotion. Si vous ne suivez pas mes conseils (il haussa les épaules en ayant l’air de n’y attacher aucune importance), nous pouvons toujours employer ce lit pour d’autres. Maintenant, allongez-vous sagement et laissez-moi vous examiner.
    Il se tourna vers l’infirmière et lui ordonna d’enlever un plateau et d’apporter des pansements et des pommades. En quittant la pièce, elle fit un faux pas, heurta le garde et laissa tomber le contenu du plateau sur le parquet. Il se précipita pour l’aider à ramasser les morceaux. Pendant ce temps, le docteur me chuchota :
    — Maintenant écoutez-moi… Dès que je serai parti, commencez à gémir et à vous plaindre. Criez que vous allez mourir et que vous voulez vous confesser. Courage. Nous ne vous abandonnerons pas.
    Lorsque l’infirmière revint, il lui donna des instructions sur un ton cassant et péremptoire :
    — Refaites-lui son pansement toutes les deux heures et veillez à ce qu’il ne quitte pas son lit. Si l’on a besoin de moi, appelez-moi. Je serai à mon bureau.
    Dès que l’infirmière eut changé mes pansements, je commençai à remuer furieusement. Petit à petit, j’entrai en transe, en poussant des hurlements frénétiques :
    — Oh Jésus, je meurs, c’en est fait de moi… ma sœur, ma sœur ! un prêtre ! Je veux me confesser… Je vous en prie, ma sœur… Ne me laissez pas mourir en état de péché…
    La religieuse me regarda avec un visage fermé et alla consulter le jeune soldat de la Gestapo. Il était d’un type différent de toutes les sentinelles que j’avais vues. Fait remarquable, il n’y avait en lui aucune trace de cynisme. Son visage se distinguait par son manque total d’expression. Il était totalement dépourvu d’intelligence ou de stupidité, de douceur ou de cruauté. Assis, il observait une pose rigide. Il ne lisait

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