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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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je n’étais plus tout seul entouré d’un monde hostile. J’avais une amie en qui je pouvais avoir confiance. Je recouvrais un peu d’espoir.
    Le lendemain je guettais avec impatience la religieuse. À sa vue je l’interrogeai du regard. Elle murmura :
    — Dans quelques jours, une religieuse d’un couvent voisin vous rendra visite.
    — Une religieuse ? Pourquoi donc ?
    — Je ne sais pas. On m’a dit de vous transmettre ce message.
    — Mais…
    — Prenez votre température ! ordonna-t-elle à haute voix.
    Pendant deux jours, je fus sur des charbons ardents. Je comprenais que si mes amis se donnaient la peine de m’envoyer une personne d’apparence aussi inoffensive qu’une religieuse, c’est qu’un plan déterminé était déjà en préparation. Le troisième jour, un peu après midi, la religieuse annoncée se présenta. J’entendais la respiration désordonnée et les ronflements des vieillards qui dormaient sous les chauds rayons du soleil de l’après-midi filtrant dans la salle grise. Elle vint à moi sur la pointe des pieds, s’approcha de mon lit à petits pas, avec une certaine hésitation.
    Il me sembla que son visage pâle et délicat m’était vaguement familier mais je n’arrivais pas à la reconnaître en l’observant à la dérobée, et je n’osai pas la dévisager plus ouvertement, avant qu’elle n’atteignît mon lit. Je la reconnus alors, ému et effrayé, c’était la sœur du guide qui avait été arrêté avec moi par la Gestapo lxxxiii .
    Elle se présenta d’une voix enfantine, mais ferme.
    — J’appartiens à un couvent du voisinage. Les autorités allemandes nous ont permis d’apporter des cigarettes et de la nourriture aux prisonniers. Y a-t-il quelque chose dont vous ayez besoin ?
    Je simulai une grande faiblesse et je me mis à parler tellement bas qu’il était difficile de comprendre. Elle devina la manœuvre et me dit d’une voix suffisamment distincte pour parvenir jusqu’au garde :
    — Je regrette, mais je ne vous entends pas.
    Puis, se penchant vers moi, elle chuchota :
    — Vos chefs savent tout. Ils vous demandent de patienter.
    Je connaissais la manière de parler sans remuer les lèvres.
    — Qu’ont-ils fait de votre frère ? demandai-je, sans quitter le gardien du coin de l’œil.
    Des larmes lui montèrent aux yeux.
    — Nous n’en savons rien.
    Il était inutile d’essayer de la consoler avec des paroles hypocrites. Je n’ai pu proférer un seul mot.
    — Dites-leur qu’il me faut du poison. Je suis certain que la Gestapo m’a amené ici pour que je dénonce les camarades de la région. Je ne supporterai pas davantage la torture. Plus vite j’aurai le poison, mieux cela vaudra. Et pour tout le monde ! dis-je, en observant toujours le gardien du coin de l’œil.
    — Je comprends. Prenez bien soin de vous-même. Je reviendrai dans quelques jours.
    La période qui s’écoula jusqu’à son retour fut un supplice sans fin. Au-delà des murs de l’hôpital, on échafaudait des plans pour me secourir : je le devinais… mais quoi ? J’enrageais d’être au lit et d’attendre.
    Elle revint enfin après cinq jours et m’apporta des fruits et des cigarettes. Nous usâmes encore du stratagème employé au cours de la première visite. Je fis semblant de ne pas pouvoir parler. Elle se penchait sur moi.
    — Ils savent tout, chuchota-t-elle. On vous a décerné la croix des Vaillants lxxxiv .
    Elle fit semblant de remettre en ordre mon oreiller, puis elle murmura sans me regarder :
    — Je viens de placer une pilule de cyanure sous votre oreiller. Cela tue presque instantanément. Je vous supplie de n’en user que si vous êtes absolument certain que le pire doive se produire. Je la remerciai du regard.
    Après son départ, je me sentis rempli de courage et de résolution. J’étais maintenant armé contre les pires éventualités. Le poison me donnait le sentiment que je possédais un talisman contre ce que j’avais craint le plus : la torture, la possibilité de succomber à une pression trop forte et de trahir l’organisation. Aussitôt que je le pus, je me rendis aux lavabos et je cachai soigneusement la minuscule capsule. La jeune fille m’avait laissé, dans ce but, un morceau de taffetas gommé de la couleur de la peau, la cachette étant celle habituelle aux prisonniers, en l’espèce la région périnéale.
    Ce sentiment de sécurité était si grand que j’en oubliais même mon désappointement

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