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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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vaste mouvement de résistance en Allemagne peuvent fort bien avoir été uniquement le résultat de notre travail. J’ai eu à connaître l’Allemagne nazie assez bien sous divers aspects pendant la guerre : lors de mes voyages dans le Reich, je n’y ai jamais rencontré trace d’un mouvement de quelque importance hostile au régime nazi. Il se peut que le gouvernement nazi ait réussi à enfermer la résistance allemande tout entière dans les camps de concentration, mais ce ne serait malheureusement pas à l’honneur du mouvement clandestin allemand.
    Au milieu de cette activité fiévreuse, il me fallait encore, de temps à autre, faire des tournées d’inspection du domaine et continuer à mémoriser le système de numérotation que j’avais établi pour m’aider à reconnaître les légumes. Les soucis et le travail astreignant que me causaient ces tournées étaient cependant compensés par l’acquisition graduelle d’un maigre bagage de connaissances agricoles, et par l’estime et l’amitié des gens du domaine que j’avais réussi à gagner. À ma grande surprise, je réussis même à entamer la résistance de granit à mon égard du vieux cocher.
    Néanmoins, et bien que ma peur de me trahir eût diminué, ces inspections étaient un fardeau qui s’ajoutait à mes autres travaux. L’énergie que j’avais accumulée en trois semaines de convalescence s’était trop rapidement consumée. Mon humeur était devenue impossible et ma patience limitée. Danuta me pressait souvent de relâcher cette tension, de me reposer pendant quelques jours. La cuisinière me faisait les gros yeux et me réprimandait pour mon triste aspect, comme si j’étais un cochon qu’elle s’efforçait d’engraisser. Avec un zèle constamment renouvelé, elle me proposait toutes sortes de décoctions apéritives et de petits plats. Finalement je succombai à cette pression concertée, d’autant que je constatais moi-même que j’étais en train de faire une rechute. Je promis que je ne ferais rien que flâner pendant quelques jours et que je mangerais tout ce qu’on me préparerait.
    Chaque semaine, je me réservai un jour de congé. Mais le travail avait pris une telle emprise sur moi qu’il m’était presque impossible de paresser. Il me fallait observer une discipline de repos sévère et systématique, me forcer à rester étendu, à lire et à bavarder innocemment, alors que mon esprit était ailleurs. Un soir où j’étais assis à feuilleter négligemment un livre quelconque, j’entendis à la fenêtre du jardin le grattement familier qui signalait les visites de Lucjan. Heureux d’avoir l’occasion de mettre un terme à un repos qui me pesait, je me précipitai pour l’accueillir. J’eus la surprise de voir un étranger à ses côtés.
    C’était un jeune homme de petite taille, mais puissamment bâti. Son visage était hâlé, et quelque chose de jeune contrastait singulièrement dans ses traits avec les profonds sillons qui ne se forment généralement qu’à la maturité. Il était habillé comme un fermier et il avait l’air d’un paysan assez rude, sans rien de naïf, pourtant.
    Je compris immédiatement qu’il s’agissait d’un clandestin, étant donné les circonstances de sa visite, et le regard rapide et expérimenté dont il parcourut la pièce. Il m’observait avec un calme impassible ; son attitude était pleine d’assurance. Je regardai Lucjan avec curiosité. Quelque chose de tout à fait extraordinaire me frappa dans le maintien de l’étranger. Ce n’était pas la personne que je me serais attendu à rencontrer en compagnie de Lucjan. Son visage était tout en lignes dures, inflexibles. Il semblait résolu, et même un peu cruel.

Chapitre XVIII Sentence et exécution
    Nous nous regardions tous trois sans dire un mot. Je sentais que c’était à Lucjan de briser la glace et je décidai que s’il persistait à être impoli, je me confinerais dans un silence obstiné. Comme le silence se prolongeait, de plus en plus oppressant, je m’apprêtais à lancer une remarque acerbe quand Lucjan, à ma surprise indignée, tira son jeune ami par la manche et se retira avec lui dans un coin de la pièce. Ils chuchotèrent un instant ensemble et s’avancèrent à nouveau vers moi. Leur comportement étrange commençait à m’exaspérer.
    — Si vous préférez rester seuls, Lucjan, dis-je rudement, je vais vous laisser.
    Lucjan me regarda avec un étonnement sincère.
    — Nous

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