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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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adresseront aux personnes indiquées.
    — C’est tellement simple, dit-elle en se moquant. Et comment allez-vous les envoyer, ces lettres, sur les ailes de l’espérance ? Par pigeon voyageur ?
    — Ni l’un, ni l’autre. Il sera plus simple encore d’utiliser les moyens que le gouvernement allemand a mis à notre disposition. Puisque les nazis considèrent que, maintenant, les régions de la Pologne incorporées au Reich font partie intégrante de l’Allemagne, tout ce qu’il y aura à faire ce sera d’écrire les adresses, de coller des timbres sur les enveloppes et de les mettre à la poste. Les lettres, à l’intérieur du Reich, sont rarement censurées.
    Nous nous mîmes au travail, Danuta et moi, prenant à peine le temps de nous reposer, et nous eûmes terminé en quelques jours. Lucjan, qui nous rendit visite, fut satisfait et nous accabla de compliments. Cependant, malgré sa bonne humeur apparente, il semblait préoccupé. Finalement, je renonçai à terminer mon exposé et je l’interrogeai :
    — Tu m’écoutes à peine, Lucjan, tu sembles avoir quelque chose de plus important dans la tête. Dis-le-nous, si tu le peux.
    — Tu connais Bulle ? me demanda-t-il.
    — Je crois avoir entendu ce nom, mais il ne me dit pas grand-chose.
    Danuta intervint :
    — Ainsi, le nom de Bulle ne te dit rien ? Comment as-tu pu ne pas en entendre parler ? Tout le monde connaît cette bête immonde dans les environs. Ce pourceau répugnant…
    — Allons, Danuta, ne te fâche pas. Comment veux-tu qu’il le connaisse ? Tu t’énerves sur Witold comme s’il était responsable des actes de Bulle.
    Il se retourna vers moi, les traits durs, les dents serrées.
    — Bulle est un Volksdeutsche, dit-il, crachant ce mot comme une injure, et de la pire espèce.
    Le plus profond mépris se lisait sur son visage. Il alluma une cigarette.
    La catégorie des Volksdeutsche, dont Bulle faisait partie, avait été imaginée par les Allemands. Cette institution avait deux objets : la dénationalisation de la Pologne et l’abaissement de la moralité. Au début, elle n’intéressait que le tiers de la Pologne qui, selon les paroles du gauleiter Forster xcv , « avait toujours été allemand jusqu’à ce que les Polonais le polonisent par la terreur et l’oppression ». Il fallait introduire dans ce territoire une culture purement germanique, la langue allemande, des écoles et des instituts allemands privilégiés à l’exclusion de tous autres. Un décret proclama que les seuls individus tolérés dans ces régions seraient ceux qui parleraient allemand, enverraient leurs enfants aux écoles allemandes, et serviraient le Vaterland sous une forme ou sous une autre.
    La plupart des Allemands résidant en Pologne avant la guerre se dépêchèrent d’obtenir des papiers de ressortissants allemands pour devenir des Reichsdeutsche. La majorité écrasante de la population polonaise se refusait fermement à accepter « cette glorieuse occasion d’établir sa solidarité avec le Reich ». Elle continuait à parler polonais et mettait une lenteur désespérante à apprendre l’allemand. Les nazis, voyant que leur offre généreuse risquait d’être délibérément dédaignée, décidèrent de faire quelques concessions. Toute personne qui aurait les titres les plus lointains d’une ascendance germanique pourrait, en s’adressant aux organismes raciaux allemands, acquérir des rations alimentaires identiques à celles des Allemands, recevoir certains privilèges et se voir accorder la faveur de la nationalité allemande après la guerre. Au grand chagrin des nazis, seule une misérable poignée de Polonais se laissa tenter par cette offre alléchante. C’étaient les Volksdeutsche. Les nazis firent des efforts désespérés pour augmenter leur nombre, allant jusqu’à abandonner finalement la moindre prétention à la pureté de la race. L’octroi, dans l’avenir, de la nationalité allemande fut offert à presque tout le monde, en même temps que des avantages pour le présent, sous forme de rations alimentaires spéciales, d’une allocation supplémentaire de points textiles, sans aucune contrepartie pour ainsi dire. Toutes ces cajoleries, les rations supplémentaires, et la propagande la plus séduisante, ne servirent qu’à rallier un maigre troupeau de renégats.
    Les Volksdeutsche étaient l’objet du mépris le plus complet. On les considérait soit comme des traîtres criminels, soit comme

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