Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
armée et j’espère que mon patriotisme sera récompensé à bref délai par mon incorporation et mon envoi sur le front…»
C’était cela la méthode de « l’engagement volontaire ». C’est ce genre de « requêtes » qu’on adressait aux autorités occupantes au nom des Volksdeutsche. On évitait évidemment de se répéter de façon que la mystification soit plus difficile à découvrir. Les lettres différaient par leur style, les détails ou les destinataires mais elles étaient semblables entre elles sur le fond et exprimaient le don du néophyte nazi s’adressant à ses « maîtres ».
Lorsque Danuta lut la première lettre que j’avais écrite, l’enthousiasme qu’elle avait manifesté pour le projet subit un soudain refroidissement. Elle me considérait avec une gravité inhabituelle, troublée jusqu’au fond de l’âme. Je sentais que cette ruse heurtait ses conceptions de l’honneur. Malgré la haine qu’elle éprouvait pour les traîtres les plus ignobles appartenant aux Volksdeutsche, et son mépris pour les lâches, je voyais qu’elle pensait que c’était un tour par trop cruel à leur jouer.
— Je sais ce qui se passe dans ton esprit, Danuta, lui dis-je. Tu penses que nous ne devrions pas nous abaisser à de telles méthodes. Mais il faut considérer notre situation, et le mal que ces individus peuvent nous faire. Nous ne pouvons désorganiser les plans des nazis que grâce à des ruses de ce genre. Autrement, nous n’avons pas la moindre chance contre eux… De plus ce sont les ordres que j’ai reçus.
Elle parut rassérénée et m’interrompit ironiquement :
— Witold, quand tu es arrivé ici, tu prononçais à peine un mot de toute la journée. Un mois de mise au vert, et te voilà doté d’une faconde incroyable. Encore un mois et tu feras des discours plus longs qu’un fonctionnaire nazi.
Lorsque j’avais demandé à Lucjan de me confier une mission de propagande, je ne m’attendais pas à ce qu’elle prenne de telles proportions. Je n’étais pas complètement remis et les simples projets sur lesquels je m’étais jeté s’étaient développés au point de nécessiter une dépense considérable d’énergie. Le point de départ de notre programme avait été simplement de déblayer le terrain pour soutenir le moral de la population polonaise, et pour attirer un châtiment sur la tête de collaborateurs lâches ou traîtres.
Mais chaque idée semblait en faire naître de nouvelles qu’on ne pouvait négliger sans nuire à l’ensemble. Je me suis trouvé ainsi engagé, avec le consentement et l’aide de la Résistance, dans l’édition d’une énorme quantité de lettres, de pamphlets, et finalement de périodiques et de journaux. J’avais la responsabilité de préparer des textes de propagande très variés. C’était une incursion à la fois délicate et excitante dans le domaine politique et littéraire. Chaque terme devait être pesé avec précision, car presque tous nos documents étaient diffusés comme s’ils provenaient d’organisations secrètes allemandes, libérales, socialistes, catholiques, communistes et même nazies. L’un des principes fondamentaux de notre technique de propagande était de publier tous nos pamphlets, proclamations et même bulletins d’information, sous l’égide d’un groupement fictif qui défendait l’éthique catholique, les traditions du parlementarisme allemand, la solidarité internationale des travailleurs ou la liberté individuelle. Chaque document devait être écrit dans un style et dans un esprit strictement conformes aux doctrines de ses inspirateurs supposés. En peu de temps, je commençais à me sentir dans la peau d’un acteur surmené. J’étais constamment sur le gril, car le moindre faux pas pouvait facilement démasquer toute l’affaire.
Le système de ces publications de propagande, placées sous les auspices des Allemands, connut un succès toujours croissant. Notre hardiesse grandit, elle aussi, et nous entraîna à exécuter des projets plus ambitieux, dont le champ se trouvait constamment élargi. À la fin, la Résistance créa deux journaux qui circulaient, non seulement dans les rangs de l’armée allemande en Pologne, mais aussi dans le Reich proprement dit. L’un était l’organe supposé des sociaux-démocrates allemands, l’autre une feuille ardemment nationaliste xcvii .
J’ai bien l’impression que les rumeurs qui ont circulé sur l’existence d’un
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