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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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Lucjan s’arrêta.
    Il se laissa tomber sur le sol, derrière un épais bouquet d’arbustes qui semblait avoir été soigneusement choisi auparavant. C’était un endroit excellent. Nous y avions vue sur la route, alors que nous restions nous-mêmes invisibles. Personne ne pouvait nous approcher par-derrière sans que nous entendions le bruit des pas. En cas d’alarme soudaine, il nous était facile de nous retirer et de nous perdre parmi les arbres. J’étais sûr maintenant que toutes ces précautions, soigneusement prises, n’étaient pas pour une petite affaire.
    Je restai assis pendant que Lucjan allait et venait, examinait la route avec une prudence inlassable. La fatigue et le froid commençaient à me peser. J’étais contrarié de l’air mystérieux de Lucjan et de son manque de considération pour moi. Je me contins autant que je le pus. À la fin, j’éclatai :
    — Dis-moi, Lucjan, pourquoi diable tout ce mystère ? Je veux bien que tu me traînes à travers la moitié de la Pologne, mais j’aimerais savoir vaguement pourquoi. Combien de temps dois-je encore rester ici ? Et puis, après tout, je m’en fiche ; mais quand cela se passera-t-il ?
    Il me fixa avec ébahissement :
    — Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu es malade ?
    — Malade ? Moi ? Non, j’aimerais simplement avoir un aperçu de ce dont il s’agit, si cela ne t’ennuie pas trop.
    — Je te l’ai déjà dit. C’est une petite histoire qui ne vaut pas même une explication !
    — Eh bien, explique-la-moi quand même !
    — Très bien, je te l’expliquerai, un peu plus tard.
    Il reprit son inlassable surveillance. Je m’assis et continuai ma morne contemplation. Quel idiot j’avais été, avec mon faible état de santé, de participer à une expédition aussi infructueuse ! Je me sentais humilié et bafoué mais je ne pouvais rien y faire. Je me promettais une revanche, quand tout serait fini. Lucjan s’assit à côté de moi pour se reposer un moment. Je commençai obstinément à le questionner.
    — Tu ne veux toujours pas me dire ce que tout cela signifie ! Pourquoi ? Tu n’as pas confiance en moi ?
    Il fronça les sourcils et secoua impatiemment la tête.
    — Précisément. Nous n’avons pas confiance en toi…
    D’indignation, je bondis sur mes pieds :
    — Quoi ?
    — Assieds-toi. Laisse-moi finir. Pas de la façon que tu supposes. Nous savons que tu es loyal et digne de confiance. Mais tu es trop intellectuel, trop sensible, pour faire ce que nous projetons. Nous ne pouvons nous permettre de courir le moindre risque. Maintenant, tiens-toi tranquille. Le silence est indispensable.
    Je réfrénai mon amour-propre, m’assis en grognant et gardai le silence. Les minutes passaient, lourdes et pénibles. J’allais me lever pour détendre mes jambes ankylosées quand Lucjan m’arrêta d’un geste impérieux. Quelqu’un venait le long de la route. Dans le silence, j’entendis le son martelé d’une paire de souliers à clous qui frappaient le sol avec une force extraordinaire, comme si leur propriétaire désirait attirer l’attention. Je fus abasourdi d’entendre cet individu se mettre à siffler ce même air que Lucjan et moi avions adopté. Je jetai un coup d’œil curieux à Lucjan, mais il demeurait impénétrable.
    Le siffleur arriva dans notre champ visuel. À la clarté de la lune, encore atténuée par les nuages, je trouvai qu’il ressemblait à Kostrzewa, mais je n’en étais pas sûr.
    En passant, il regarda rapidement dans notre direction sans toutefois ralentir le pas. Je fixai Lucjan, pour avoir la clé de l’énigme. Il ne regardait plus le bruyant personnage, mais la direction d’où il venait. Il y avait un léger et étrange sourire sur ses lèvres. Je regardai dans la même direction. Quand mes yeux se furent accoutumés à l’ombre, j’aperçus la silhouette d’un homme qui courait d’arbre en arbre le long d’un bas-côté de la route. De toute évidence, il suivait Kostrzewa, si c’était bien Kostrzewa.
    Lucjan respirait maintenant à petits coups, douloureusement. Mon cœur commença à battre plus fort. Le suiveur passa sur la route, exactement en face de l’endroit où nous étions dissimulés. Lucjan me fit signe et se leva avec des mouvements lents et furtifs. Nous avançâmes, courbés derrière le suiveur de Kostrzewa.
    Nous marchions silencieusement à vingt mètres de lui sur le bord de la route. Nous ralentîmes un instant le pas et je perdis

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