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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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ne voulions pas être grossiers, Witold, répondit-il, sur un ton d’excuse. Je regrette beaucoup, mais nous avions une affaire urgente et j’ai bien peur d’avoir manqué du tact le plus élémentaire.
    Et il ajouta :
    — J’aimerais que tu connaisses Kostrzewa.
    Kostrzewa eut un sourire jeune et cordial, et ses grands yeux bleus candides me fixèrent amicalement. Il m’avait apparemment examiné et s’était fait une opinion sur moi.
    — Je vous ai déjà vu dans le village, dit-il avec aisance, et je suis très heureux de faire votre connaissance.
    Kostrzewa me plaisait, mais j’avais quelque peine à le classer. Quoique d’apparence franche et simple, il pouvait sembler rusé et hardi. Je pensais qu’il devait être peu commode à manier et j’en restai là. Sur un ton assez dégagé, Lucjan me demanda si j’étais disposé à lui rendre un service.
    — Naturellement, répliquai-je. De quoi s’agit-il ?
    — De rien de très particulier. Nous avons à régler une petite affaire dans quelques jours et nous avons besoin de quelqu’un qui nous serve de sentinelle.
    Cette réserve me refroidit. Il me semblait qu’il me devait un supplément d’explication.
    — Ne peux-tu rien ajouter à ce que tu viens de me dire ?
    — Je n’ai rien à ajouter. Tout ce que tu as à faire, c’est de te cacher derrière un arbre et de siffler notre air si tu vois quelqu’un s’approcher. Es-tu d’accord ?
    — Évidemment. Quelle nuit cela aura-t-il lieu ?
    — Nous te le dirons dans un jour ou deux.
    Il se retira brusquement et Kostrzewa suivit son exemple. Ils disparurent par la fenêtre. Je les regardai partir, extrêmement irrité contre eux et contre moi-même. Je me torturais l’imagination pour deviner la nature de cette expédition, mais je n’arrivais à aucune conclusion.
    Deux jours plus tard, Lucjan revint sans Kostrzewa. Je sentis quelque chose d’important dans l’air. Non que Lucjan fit montre d’émotion : il était trop entraîné à garder son sang-froid pour rien laisser paraître, mais j’avais tellement vu d’hommes dans des situations analogues que je ne fus pas dupe de son calme affecté.
    Tandis que j’observais le vague sourire de Lucjan, je sentais que mon cœur commençait à battre fort et que mes mains devenaient chaudes et moites.
    — Est-ce cette nuit que tu veux me demander de te rendre un petit service ?
    — Oui, répondit-il pensivement, tu devrais mettre des caoutchoucs. L’herbe sera humide.
    Je montai vers ma chambre. Il m’arrêta pour m’inspecter sommairement.
    — Mets aussi des vêtements sombres. Je ne veux pas que tu sois trop visible.
    — Très bien. Je descends dans une minute.
    Lucjan s’assit dans le fauteuil qu’il choisissait inconsciemment quand il était nerveux ou angoissé. Je lui jetai un coup d’œil en montant l’escalier. Les muscles de ses mâchoires travaillaient, son front se plissait. Il tenait une cigarette allumée à la main sans la fumer. J’arrivai à ma chambre, mis un pantalon foncé, enfilai un pull sous ma veste et retournai au salon.
    Lucjan se balançait d’avant en arrière.
    — C’est mieux, dit-il. Es-tu prêt ?
    J’eus à peine le temps de répondre qu’il sortait déjà par la porte de service. Je le suivis. Il s’arrêta sur le sentier derrière la maison et me retint, une main sur mon épaule. Il fouilla soigneusement des yeux les alentours obscurs. Certain que nous n’étions pas observés, il se mit en marche brusquement, à grandes enjambées rapides. L’air était vif et humide. Je remontai le col de mon manteau et marchai silencieusement à ses côtés. Nous suivîmes les bords du sentier, en ayant soin de rester dans la pénombre des arbres. Au bout d’un kilomètre, Lucjan quitta le sentier pour foncer à travers bois. Nous émergeâmes dans un large champ que nous traversâmes précipitamment à travers l’herbe épaisse et humide. Nous cheminions maintenant en décrivant un large cercle et je comprenais que nous contournions un village de façon à entrer dans le bois du côté de la route par laquelle nous étions arrivés. Après trois kilomètres de marche à travers champs, le village se trouvant derrière nous, nous rentrâmes dans les bois. Dans la nuit, sûr de sa direction, Lucjan avançait rapidement. Je trébuchais derrière lui, sur l’étroit sentier qu’il traçait à travers les arbres, les racines et les arbustes. Après un autre kilomètre exténuant,

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