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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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heures, en discutant sur l’endroit où nous allions passer la nuit et où nous allions cacher la dangereuse valise. Les suggestions de Laskowa étaient prudentes et sagaces. Elle ne voulait compromettre personne. Elle se refusait à aller habiter chez des amis ou à se montrer en des lieux de rendez-vous car elle se savait désormais suspecte. S’agissant de la valise, elle proposa un plan simple et adroit. Nous la déposerions à la consigne de la gare et, au bout de deux jours, nous l’enverrions chercher par le plus vieux et le plus décrépit des porteurs. Si les Allemands fouillaient la valise, il serait le seul à être arrêté. Ils le relâcheraient probablement et sinon – eh bien, cela ne ferait qu’un vieil homme de plus qui aurait été sacrifié à la Cause. Enfin, après avoir bien hésité et regardé de tous côtés si nous n’étions pas suivis, nous allâmes prendre une chambre dans un hôtel crasseux, de très mauvaise réputation. Les Allemands, dans leur campagne pour démoraliser la population, et particulièrement la jeunesse, protégeaient les endroits comme celui-là. Nous essayions tous deux de passer inaperçus dans les corridors et faisions semblant de ne pas remarquer l’apparence sordide des locataires. Après avoir payé la chambre, nous nous dirigeâmes vers l’escalier, et je sentis que Laskowa était affectée par cette ambiance pénible. Je la regardai avec une expression d’inquiétude. Elle prit mon bras, me donna un coup de coude et dit en riant :
    — Allons-y.
    Elle tint remarquablement bien le coup pendant les deux jours qui suivirent, tandis que j’étais dehors à prendre les nouvelles et à regarder où en était le vase. Il apparaissait et disparaissait régulièrement. Prudemment, je repris contact avec l’organisation et j’appris peu à peu les épouvantables détails de la catastrophe qui était arrivée.
    Tout avait commencé avec l’arrestation d’un agent de liaison de Silésie. Sous des tortures indescriptibles, il laissa échapper des adresses permanentes de rendez-vous. Nous fûmes surveillés sans qu’aucune arrestation n’advînt pendant une longue période. C’est de cette façon qu’ils découvrirent la résidence de Kara. Heureusement, et c’est ce qui nous sauva, ce dernier n’était pas allé chez Laskowa depuis qu’il avait été filé. Kara fut arrêté la veille du jour où il avait rendez-vous avec Cyna. La Gestapo, se servant du stratagème commun à toutes les polices du monde, le gardait dans son appartement et restait avec lui. Trois femmes agents de liaison avec qui il avait rendez-vous, ne le voyant pas venir, se rendirent dès le premier jour chez lui pour se renseigner. Le lendemain, Cyna tomba de la même façon dans la souricière.
    L’organisation fit tout son possible pour essayer de sortir Cyna et Kara de prison. En vain. La Gestapo se rendait compte qu’elle tenait des gens importants et prenait des précautions extraordinaires. L’organisation ne sut rien du sort de Cyna. Un message était parvenu de la prison nous informant que Kara avait été horriblement torturé, ses deux jambes avaient été écrasées jusqu’à la moelle, ses bras cassés ; ne pouvant plus supporter ses souffrances, il demandait du poison. La direction de la Résistance lui envoya deux pilules de cyanure et un message : « Tu viens d’être décoré de l’ordre de Virtuti Militari. Ci-joint du cyanure. Nous nous reverrons un jour. Frère. »
    Le lendemain nous parvint la nouvelle que Kara avait été enterré dans la cour de la prison. Toujours rien de Cyna. Quelques mois plus tard, on apprit qu’il se trouvait au camp de prisonniers d’Oswiecim et en assez bonne santé. La Gestapo n’avait pas découvert qui il était.
    Laskowa put retourner à son appartement, relativement en sûreté, et reprendre le cours de ses occupations.
    Ces arrestations et ces révélations faites sous la torture nous donnaient la certitude que beaucoup d’entre nous étaient désormais connus de la Gestapo, ou pouvaient l’être à tout instant. Il fut décidé de procéder à une complète réorganisation de toutes les forces de la résistance locale. On changea les adresses, les points de contact et de liaison, les planques. On modifia les affectations. Une partie des clandestins fut repliée sur d’autres villes. On mit tout en œuvre pour annuler les effets de ce succès allemand. Cet épisode fut une des pires défaites que la Résistance a

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