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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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pendant la courte période que je vécus avec lui, aucun de nous ne se dévoila, ni ne questionna l’autre.
    En avril 1941, il demanda et obtint la permission d’aller voir ses parents dans le sud de la Pologne. Quelques jours après son départ, nous apprîmes qu’il avait été arrêté avec trois autres… près de Lublin, situé au nord de Krakow. Ils avaient été pris tous les quatre en train de déboulonner une voie de chemin de fer. Un convoi d’armes et de ravitaillement devait passer le lendemain en provenance d’ URSS et, tandis qu’il se dirigeait vers l’Allemagne, ils essayaient de le faire dérailler.
    Comme je l’ai appris plus tard, Kielec avait en charge l’un de ces petits groupes clandestins « périphériques » déjà évoqués. Ses hommes et lui furent victimes de leurs méthodes de travail indépendantes, celles des organisations autonomes. Ils furent pendus tous les quatre publiquement sur la place du Marché de Lublin, et leurs corps laissés sur les potences pendant deux jours et deux nuits pour servir d’exemple à la population cvi . Des affiches informèrent les citoyens de Lublin que c’étaient des bandits polonais qui avaient attaqué des fonctionnaires allemands pour les voler. Les mêmes sanctions seraient prises contre quiconque s’attaquerait à la communauté allemande, ajoutaient les affiches qui rendaient ainsi la vérité évidente.
    Après l’arrestation de Kielec, la Gestapo vint à la coopérative, mit sens dessus dessous toute la maison, et interrogea ses habitants. Je fus prévenu de sa descente alors que les Allemands n’étaient plus qu’à trois portes de ma chambre. Je laissai là tous mes biens, pris mes jambes à mon cou et ne reparus jamais. Le sort de mon ami Kielec et de ses camarades m’affecta profondément. Je manquais d’argent et l’organisation vivait des moments difficiles. J’eus beaucoup de peine à changer de nouveau mon identité et à trouver les papiers nécessaires. Ce fut dans ces circonstances pénibles que j’ai trouvé un refuge chez une dame connue sous le nom de Laskowa cvii . Elle était la femme d’un ancien diplomate polonais qui avait rejoint l’armée polonaise en Occident. Le couple se trouvait à l’étranger avec leur fils Jozio. Sentant la guerre imminente, le mari l’avait fait revenir en Pologne avec l’enfant, pensant qu’ils y seraient davantage en sécurité. Comme à beaucoup d’autres, la guerre leur avait fait perdre tous leurs biens.
    Weronika Laskowa était une femme d’une quarantaine d’années, encore jeune d’apparence, d’une beauté de star de cinéma, et qui se donnait vingt-huit ans. Quiconque la taquinait sur son âge ou la contredisait le faisait à ses risques et périls, car elle était capable de réparties acérées quand on la provoquait. Elle avait un appartement de cinq pièces, et pour survivre servait des repas d’hôtes payants dans sa grande salle à manger. Elle gagnait aussi un peu d’argent en cultivant un assez grand potager dont elle vendait les produits. Elle tirait la plus grande partie de ses revenus de son labeur infatigable afin d’élever son fils, âgé de cinq ans.
    Elle était en adoration devant cet enfant et tenait essentiellement à ce qu’il ne sache pas, qu’il ne sente pas un seul instant qu’il y avait une guerre. Il devait avoir tout ce qu’il aurait eu en des temps normaux : de beaux vêtements, du chocolat, des oranges, du lait, des bonbons. Elle se tuait au travail pour lui acheter ces choses au marché noir, à des prix exorbitants.
    En dehors de cette passion maternelle déraisonnable – la moins adaptée aux circonstances que j’aie jamais vue –, elle était très intelligente, sensée et courageuse. Du fait même qu’elle faisait des repas pour un nombre considérable de clients, les allées et venues autour de son appartement n’attiraient pas l’attention, et il était devenu un véritable refuge pour la Résistance.
    J’ai gardé en mémoire la scène suivante : un jour, la salle à manger était bondée après le repas. Dans un coin, quatre hommes étaient plongés dans une conversation animée à voix basse. Dans un autre, deux hommes et une femme préparaient des paquets de journaux clandestins pour les diffuser hors de Krakow. Dans le troisième coin, deux autres hommes rempaquetaient quelque chose qui ressemblait à des explosifs. J’étais assis à la table avec trois camarades qui travaillaient souvent avec moi.

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