Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
Vom Netzwerk:
ressemble à son grand-père. J’ai honte de vous dire cela, Jan, mais je le dois. En ce moment, par oisiveté, par mépris pour les autres garçons, il se montre plus mauvais qu’il n’est en réalité. Donnez-lui une chance. Vous ne le regretterez pas. Il aime l’aventure, il a un très grand respect pour vous, il exécutera vos ordres. Je vous en prie…
    Je savais que M me Lisowska n’était pas une femme dont on peut se débarrasser avec de vagues promesses ou de bonnes paroles. Je lui répondis doucement :
    — Je ne crois pas que mes chefs me laissent prendre Tadek. Il a mauvaise réputation. De plus, le danger est grand. S’il était accepté, il pourrait bien un jour ne plus revenir.
    — Dans ma famille, nous avons l’habitude de mourir pour notre pays, dit-elle lentement. Si Tadek mourait, mon cœur serait brisé, mais je ne me repentirais jamais de l’avoir envoyé faire son devoir.
    Il était impossible de résister à un tel plaidoyer. Je lui pris la main.
    — Je ferai tout ce que je pourrai pour Tadek, ai-je dit. Envoyez-le-moi demain à midi. Je l’attendrai au bord de la Wista, près du pont Poniatowski.
    Je rencontrai Tadek le lendemain et fus désagréablement impressionné par son aspect. C’était un grand garçon dégingandé qui avait l’air beaucoup plus vieux que son âge. Son visage était maigre et pâle et ses grands yeux noirs étaient entourés de cernes d’une couleur inquiétante, on eût dit des ecchymoses.
    J’ai peur de m’être donné l’air un tantinet pédant.
    — Pourquoi ne prenez-vous pas soin de vous ? lui dis-je d’un ton sévère. Vous devriez avoir honte. On croirait que vous avez dormi huit jours sans vous déshabiller.
    Il avait l’air embarrassé et se dandinait gauchement d’un pied sur l’autre. Je m’attendris. Il n’était visiblement pas à son aise.
    — Venez, Tadek, dis-je sur un ton un peu moins distant. Marchons un peu. J’ai beaucoup de choses à vous dire.
    Ce fut une longue promenade. Je lui parlai du devoir envers sa famille et sa patrie. Je lui retraçai l’histoire sanglante de la lutte de la Pologne contre ses agresseurs depuis les partages. J’insistai sur le fait que si la résistance avait cessé, la Pologne n’aurait jamais pu revivre en tant qu’État. Nous n’aurions ni langue, ni pays à nous. Je comparai l’époque des partages à la situation actuelle du pays occupé. C’est une grave erreur, lui dis-je, de croire que la résistance consiste seulement à opposer une force physique à l’envahisseur. Bien plus important encore est le maintien de notre caractère et de notre esprit en face des brutalités et des flagorneries de nos ennemis. Je lui parlai des exploits de son grand-père et de son arrière-grand-père. Je lui dis que je le considérais comme un honnête garçon et qu’il trouverait toujours en moi un ami digne de confiance. Je lui vantai notre cause et le réel bonheur qu’on trouvait à la servir.
    Je ne l’ai pas ménagé. Je lui dis que les jeunes gens de son espèce étaient le plus grand danger pour la Pologne, qu’ils salissaient notre réputation à l’étranger et risquaient de « contaminer » les autres. Il m’écoutait avec embarras, ses yeux témoignaient de la souffrance que je lui causais. Lorsque je sentis qu’il avait son compte, je lui mis mon bras autour des épaules.
    — Écoute, Tadek, lui dis-je, je n’ai pas l’intention de te sermonner davantage. J’ai vraiment confiance en toi. Je voudrais que tu viennes nous aider à la Résistance. Qu’en penses-tu ?
    Il faillit suffoquer d’émotion à ce changement soudain. Ses yeux se mirent à briller.
    — Vous n’aurez jamais honte de moi, je vous le promets, souffla-t-il enfin. Donnez-moi une chance.
    Je me mis à rire.
    — C’est bon, c’est bon. Assez pour aujourd’hui. Allons nager. Cela nous fera du bien. Rappelle-toi que ta mère ne doit rien savoir de cette conversation.
    Nous nous dévêtîmes promptement et fîmes quelques brasses dans les eaux troubles mais fraîches de la Wista. Tandis que nous nous rhabillions et nous préparions à rentrer, je donnai cet ordre à Tadek, sur un ton officiel, pour l’impressionner et lui faire sentir qu’il était maintenant presque des nôtres.
    — Demain, à dix heures précises, tu te présenteras rue Pulawska au numéro 26. Ta candidature a été posée, si elle est acceptée tu prêteras serment : tu seras désormais un soldat de l’Armée

Weitere Kostenlose Bücher