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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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polonaise.
    — L’armée clandestine ? demanda-t-il, fasciné.
    — Oui, nous avons trois armées : la première en Écosse, la seconde au Proche-Orient, la troisième ici.
    Il écarquilla les yeux.
    — Je peux venir à neuf heures…, à huit heures même…
    — Fais seulement en sorte d’être là à dix heures précises, lui dis-je.
    Je lui tendis la main et il mit toute sa force dans la poignée de main qu’il me donna avant de me quitter.
    La prestation de serment était une cérémonie ni compliquée ni mystérieuse. La symbolique en était simple. Il dut tenir dans la main gauche un petit crucifix, et élever la droite pour répéter la formule après celui qui recevait son serment : « Je jure devant Dieu, sur la Croix de son Fils, que je servirai fidèlement ma Patrie et la Liberté. Je sacrifierai tout ce que je possède. J’exécuterai les ordres de mes supérieurs et je garderai les secrets qui me seront confiés. Que Dieu et le sacrifice de son Fils me viennent en aide ! »
    Après avoir reçu son serment, je dis à Tadek que j’étais son chef, qu’il devait obéir à mes ordres et que la trahison était punie de mort. Ensuite, nous nous donnâmes l’accolade.
    Dès le début, Tadek justifia la bonne opinion que sa mère avait de lui. La vie agitée qu’il avait menée dans les rues de Warszawa en toutes sortes de compagnies l’avait habitué à prendre des décisions rapides, à se dominer et à ruser. De plus il était fort intelligent. Le tout en fit un excellent agent de liaison. Sa première mission – qu’il accepta avec autant de solennité que si le sort de toute la Pologne en avait dépendu – consistait à porter une enveloppe à une adresse des faubourgs de la ville de Nowy Sacz. L’enveloppe contenait des coupures de presse allemande. Je l’ai prévenu que la Gestapo était particulièrement vigilante dans cette petite ville où tout le monde se connaît et où un étranger est immédiatement repéré. Quand je lui dis, pour terminer, qu’il ne pourrait bénéficier d’une autorisation de voyage par le train et devrait voyager par ses propres moyens, il grimaça de plaisir comme si tout ce qui rendait le voyage plus périlleux le réjouissait. Il accomplit sa mission rapidement et me remit d’un air grave une enveloppe qui ne contenait rien d’autre qu’une appréciation favorable sur lui et ses capacités : il avait passé avec succès l’épreuve. Pendant cette période, M me Lisowska, que je voyais fréquemment, me dit qu’il changeait à vue d’œil. Il était plus discipliné, plus calme. Il sortait avec un air mystérieux et important qui l’amusait.
    Mais l’insouciance de ce garçon devint vite un problème ainsi que sa recherche de sensations. Il me faisait enrager. Un jour, nous étions convenus de nous retrouver au pont Kierbedz qui était gardé à toute heure par des soldats allemands. Nous devions arriver par des directions opposées. En arrivant, je vis que deux sentinelles approchaient de l’endroit où il attendait. Tadek était penché sur le parapet, très absorbé par la lecture de notre Bulletin d’information.
    Je me penchai moi-même au-dessus du parapet, à quelque distance de lui. Les soldats passèrent à côté du garçon comme s’il n’était pas là. Je lui montrai le poing à la dérobée et marchai vers lui pour le tancer d’importance. Tadek me regarda avec des yeux ronds et mit son doigt sur ses lèvres.
    — Chut, me dit-il, en me montrant de l’autre main les sentinelles qui étaient encore à proximité.
    Un autre jour, il fit le pari, avec trois autres de nos jeunes agents de liaison, de lire ouvertement les journaux clandestins pendant tout le parcours d’un autobus ! Je le sermonnai et lui fis comprendre qu’il nous mettait en danger ; son repentir parut si sincère que je lui pardonnai cette fois encore.
    Mais au bout d’un certain temps, il apparut que la mission d’agent de liaison commençait à perdre de son charme pour Tadek. Il rêvait d’autres aventures. Comme il n’osait pas me faire part de ses désirs, je le devançai :
    — Tadek, lui dis-je, tu es fatigué du travail que tu fais ici, n’est-ce pas ?
    — Non, non, protesta-t-il faiblement. J’aime ça.
    — Mais tu aimerais quelque chose de plus important, de plus excitant ?
    Il me jeta un regard reconnaissant et m’exposa ses griefs.
    — Voyez-vous, me dit-il, je sais que tout ce que nous faisons ici gêne les Allemands,

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