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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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sentiments.
    Leur correspondance se poursuivit. J’ai lu quelques-unes de leurs lettres. Celles de Wanda étaient toujours calmes et sérieuses, pleines d’une émotion contenue. Peu de temps après, Witek lui demanda de l’épouser. Bien entendu elle ne pouvait se présenter à l’église pour la cérémonie nuptiale, mais Witek avait consulté un prêtre et découvert qu’on pouvait les marier per procura. Le prêtre se contenterait du consentement de la jeune fille.
    L’affaire fut arrangée en deux semaines. J’étais présent avec les quatre témoins à cette émouvante cérémonie qui eut lieu dans une vieille petite église de la périphérie de Warszawa. Le prêtre qui officiait était un de nos amis. Il prononça une brève et éloquente allocution qui faisait allusion à l’étrangeté de la destinée humaine et qui rendait parfaitement la pathétique beauté de cet instant. Il nous rappela qu’autrefois le mariage par procuration était le privilège des rois, que les époux étaient alors représentés par des ambassadeurs en costumes chamarrés de diamants et l’église tendue des tapisseries et des brocarts les plus luxueux ; que des pièces d’or étaient lancées au peuple et que les rues retentissaient des cris de « Vive le roi ! » et « Vive la reine ! ».
    — Les temps ont changé, conclut le prêtre. Je vous marie par procuration, avec la permission de l’Église, non parce que vous êtes riches ou puissants, mais parce que vous êtes les plus pauvres, les plus faibles et les plus opprimés.
    » Toi Witek, tu te tiens ici devant l’autel, dit-il, et cette femme est l’ambassadrice de celle que tu prends pour épouse, et il ajouta, en se tournant vers la romancière qui représentait Wanda : Un jour, vous écrirez ce qui, j’espère, sera votre plus beau livre : la vie de ces êtres-là…
    — Notre vie à tous, mon père, murmura-t-elle.
    Les lèvres de Witek tremblèrent, et il faillit s’effondrer. Après la cérémonie, nous nous séparâmes pour reprendre notre travail, qui ne pouvait pas être différé. Peu après je quittais la Pologne pour une nouvelle mission et je n’ai jamais su si le couple a pu être réuni cxxvii .
    La femme de lettres qui représentait la mariée était une personne exceptionnelle à tous égards. Avant la guerre, ses œuvres avaient été traduites en plusieurs langues et admirées. Elle avait reçu de nombreux prix. Elle était alors fortunée. En 1942, elle aurait été heureuse de manger chaque jour une assiette de soupe bien chaude. Mais ne s’en souciait guère.
    Il y avait quelque chose de miraculeux dans sa destinée. Avant la guerre, elle avait écrit sous un pseudonyme, et c’était lui qui était connu du grand public. En dehors du cercle de ses amis personnels, peu de gens savaient qu’elle était mariée et moins encore connaissaient l’identité de son mari cxxviii . Dès le début, elle prit une part active à la Résistance, et malgré cela, en dépit des innombrables avertissements de ses amis, elle continua à vivre dans sa maison sous son nom de femme mariée. On l’avertit qu’elle courait un double danger, risquant d’être arrêtée non seulement à cause de son engagement, mais aussi à cause de sa réputation. Nombre de Polonais éminents qui n’avaient pas lieu d’être soupçonnés d’activités résistantes avaient déjà été arrêtés. Elle refusa fermement de changer ses habitudes. Lorsque nous lui fîmes des remontrances pour ces bravades inutiles et ce manque de prudence, elle répondit : « Mes chers amis, si Dieu veut que je sois arrêtée, les Huns me prendront, quelles que soient les précautions dont je pourrais m’entourer. »
    Nous nous regardâmes en entendant ces paroles et échangeâmes des clins d’œil entendus, mais personne n’osa dire un mot. Nous sentions tous qu’en dépit de son talent littéraire et de son dévouement à la Cause, elle demeurait trop naïve pour le genre d’existence qu’elle était appelée à mener. La Providence ne tient pas lieu de prudence.
    Elle fut bientôt mise à l’épreuve. Une nuit, deux officiers de la Gestapo frappèrent à sa porte. Elle nous dit plus tard que lorsqu’elle comprit qui ils étaient, elle ne ressentit pas la moindre frayeur. Parfaitement calme, elle s’en remit à la Providence, convaincue que rien ne pouvait lui arriver qui ne fût la volonté de Dieu.
    Les agents de la Gestapo n’attendirent pas qu’elle

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