Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
Vom Netzwerk:
ouvrît, mais enfoncèrent la porte et crièrent dès le seuil :
    — Comment vous appelez-vous ?
    Elle leur répondit son nom de femme mariée.
    — Montrez-nous votre kennkarte.
    Elle alla la chercher dans son secrétaire et la leur tendit. Elle était parfaitement en règle.
    — Qui habite avec vous ici ?
    — Personne. Je vis seule.
    — C’est ce que nous allons voir. Asseyez-vous et tenez-vous tranquille.
    La perquisition dura plusieurs heures : ils regardèrent dans les lavabos et sous les lits, vidèrent les armoires, sondèrent les murs, et mirent tous les meubles sens dessus dessous. Pendant que les Allemands retournaient tout, elle se leva tranquillement de sa chaise, sans aucune hâte ni agitation superflue… sortit dans la rue et gagna calmement la maison d’une amie quelques portes plus loin. Les Allemands n’avaient pas remarqué son départ et personne ne l’arrêta dans la rue malgré le couvre-feu.
    Cet incident fit le tour de Warszawa. Il est probable que ce qui lui parut le plus désagréable, ce furent nos taquineries. Il faut savoir en effet qu’à côté de sa grande piété, elle avait un autre trait de caractère encore plus rare et inflexible : elle ne mentait jamais, et croyait fermement qu’un mensonge ne pouvait être justifié en aucun cas. C’est ce côté qui fut l’objet de nos taquineries lorsqu’elle raconta l’histoire :
    — Vous rendez-vous compte que vous avez menti aux hommes de la Gestapo sur votre identité ? demanda quelqu’un.
    Elle fut fort embarrassée, et la surprise l’emporta un moment.
    — Oh non, je n’ai pas menti, répliqua-t-elle, d’un air inquiet. Ils m’ont demandé mon nom, je leur ai dit la vérité. Ils ne m’ont pas demandé le nom sous lequel je publie mes livres.
    — Très bien, avons-nous convenu, ne sachant s’il fallait rire ou pleurer de son angélique candeur. Mais vous les avez trompés, vous vous êtes glissée dehors sous leur nez.
    Elle répondit alors d’un ton triomphant :
    — Pas le moins du monde. C’était mon appartement, j’avais le droit de le quitter quand je voulais. Je ne leur avais pas promis de rester là jusqu’à ce qu’ils aient fini.
    — Comment ? Voulez-vous dire que s’ils vous avaient ordonné de rester et de les attendre, vous leur auriez obéi ?
    Pour le coup, elle fut troublée, si grand était son désir d’être en règle avec sa conscience :
    — Eh bien (la réponse vint lentement), je n’ai pas encore bien réfléchi à tout cela. Mais je ne pense pas que j’aurais été obligée de rester. De notre point de vue, leurs ordres n’existent pas, n’est-il pas vrai ? On n’exécute pas ce qui n’existe pas, ainsi je n’avais pas à leur obéir.
    Nous cessâmes le jeu, consternés. Sa naïveté candide et sublime tout à la fois nous stupéfiait toujours et souvent nous faisait honte. Le plus remarquable c’est que, malgré le handicap qu’était pour elle sa conscience, elle restait l’inspiratrice et la plus belle flamme de la Résistance en Pologne. C’était l’année 1942 et les appels les plus éloquents, les dénonciations les plus véhémentes, les pamphlets et les articles les plus efficaces de la presse clandestine sortaient de sa plume. Un grand nombre d’entre eux, nous le sentions avec certitude, méritent de demeurer éternellement comme des joyaux de la littérature polonaise de cette guerre cxxix .

Chapitre XXVII L’école clandestine
    Il s’est avéré que pour mon travail, un garçon convenait mieux comme agent de liaison du point de vue de la conspiration et on m’affecta Tadek Lisowski cxxx . Je connaissais la famille Lisowski dès avant la guerre. C’étaient alors des gens fortunés. Outre leur domaine foncier dans les environs de Kielce, ils possédaient à Warszawa deux immeubles de rapport. M m e Lisowska était une petite femme réservée, très bien organisée, douée d’une énergie inépuisable et dont émanaient chaleur et sérénité. Elle tenait dans un ordre parfait une maison toujours pleine d’amis, avait à surveiller deux enfants difficiles et indisciplinés, et pourvoir aux besoins de son mari, joyeux compagnon qui hantait les cafés, les théâtres et les salles de jeu.
    M me Lisowska dirigeait les affaires de la famille, fréquentait l’église assidûment et trouvait du temps à consacrer aux œuvres sociales et à la charité. À intervalles répétés, M. Lisowski s’adonnait à des fredaines et

Weitere Kostenlose Bücher