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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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ces réflexions intolérables.
    Depuis, j’ai souvent pensé à Szmul Zygielbojm, l’une des victimes les plus tragiques de la guerre et de ses horreurs. Car la mort de Zygielbojm n’eut pas l’ombre d’une consolation. Elle fut volontaire et désespérée. Je me demande si beaucoup de gens peuvent comprendre ce que cela signifie de mourir, comme il est mort, pour une cause qui devait être victorieuse, mais avec la certitude que la victoire ne différerait pas le sacrifice de son peuple, l’anéantissement de tout ce qui avait un sens pour lui. De toutes les morts survenues au cours de cette guerre, celle de Zygielbojm est certainement l’une des plus impressionnantes, car elle révèle à quel point le monde est devenu froid et hostile : les nations et les individus sont séparés par des gouffres d’indifférence et d’égoïsme. La défiance, l’animosité règnent, et ceux mêmes qui luttent pour y remédier par tous les moyens sont pitoyablement impuissants.

Chapitre XXX Dernière étape
    Quelques jours après ma seconde visite au ghetto de Warszawa, le chef du Bund devait me fournir l’occasion de voir un camp d’extermination des Juifs.
    Ce camp se trouvait près de la ville de Belzec cliii , à cent soixante kilomètres environ à l’est de Warszawa, et il était connu de la Pologne entière par les histoires terrifiantes qui circulaient à son sujet. On racontait communément que tout Juif qui allait dans ce camp était pratiquement condamné à mort. Il n’y allait que pour cela.
    Le leader du Bund n’y avait jamais pénétré, mais il possédait une documentation détaillée sur ce qui s’y passait, qu’il tenait principalement des cheminots polonais cliv .
    Nous avions choisi un jour où il devait y avoir des exécutions. Le renseignement avait été facile à obtenir, car un grand nombre d’Estoniens, de Lituaniens et d’Ukrainiens qui étaient employés comme gardiens de ce camp sous le contrôle de la Gestapo travaillaient aussi pour le compte des organisations juives, non pour des considérations humaines ou politiques mais pour gagner de l’argent. Je devais porter l’uniforme d’un de ces gardiens ukrainiens clv le jour où il était de repos, et je me servirais de ses papiers. On m’assura que le désordre et la corruption régnaient à ce point dans ce camp qu’il y avait toutes les chances pour que mon déguisement passât inaperçu. De plus, l’expédition avait été minutieusement préparée. Je devais pénétrer dans le camp par une porte gardée uniquement par des Allemands car un Ukrainien aurait pu déceler plus facilement que je n’en étais pas un. L’uniforme ukrainien constituait un laissez-passer en lui-même et l’on ne me demanderait probablement rien. Pour plus de sécurité encore, je devais être accompagné par un autre Ukrainien à notre solde. Je parlais allemand et pouvais donc, si cela devenait nécessaire, discuter avec les gardiens allemands et les acheter eux aussi.
    Le plan semblait simple et sans défaut. J’y adhérai sans la moindre hésitation et sans aucune crainte d’être pris.
    Au jour choisi, tôt dans la matinée, je quittai Warszawa par la gare centrale en compagnie du Juif qui travaillait hors du ghetto pour le mouvement clandestin. Nous sommes allés en train jusqu’à Lublin. Là, une carriole de paysan nous attendait. Nous sommes passés par des chemins de terre car le paysan qui nous transportait évitait la chaussée fréquentée de Zamosc. Nous arrivâmes à Belzec (i.e. Izbica Lubelska) un peu après midi et nous nous rendîmes directement à l’endroit où l’Ukrainien devait nous attendre pour me prêter son uniforme clvi . C’était une petite épicerie qui avait appartenu à un Juif. Celui-ci avait été tué et la boutique, avec l’autorisation de la Gestapo, était tenue depuis par un paysan de l’endroit qui, bien entendu, était membre de la Résistance et se présenta comme Onyszko.
    Mon uniforme ukrainien m’attendait, mais son propriétaire avait, de toute évidence, décidé qu’il était plus prudent de ne pas se trouver sur les lieux. Sachant ce qui se préparait, il avait dû penser qu’il valait mieux que je ne puisse pas l’identifier au cas où j’aurais l’intention de le trahir par la suite. Cependant il m’avait bien laissé un équipement complet : pantalon, grandes bottes, ceinture, cravate, couvre-chef. Il n’avait pas voulu non plus me donner ses papiers personnels et m’avait

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