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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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gardiens continuaient à circuler, indifférents au milieu de la foule agonisante, jusqu’au moment où ils semblèrent se concerter en regardant du côté du train.
    Deux policiers allemands se dirigèrent vers le portail accompagnés d’un gigantesque SS . Celui-ci cria un ordre et le lourd portail fut ouvert, non sans difficultés. L’extrémité du passage était bloquée par deux wagons du train de marchandises, de façon à empêcher toute tentative d’évasion.
    Le SS se tourna alors vers la foule, bien campé sur ses jambes écartées, les poings sur les hanches, et poussa une sorte de hurlement qui domina la masse des condamnés.
    —  Ruhe, ruhe ! du calme, du calme ! Tous les Juifs vont monter dans ce train qui doit les emmener vers un endroit où le travail les attend. Ne vous poussez pas, restez en bon ordre. Ceux qui sèmeront la panique seront abattus.
    Il regarda d’un air de défi la misérable masse humaine qui lui faisait face. Soudain, avec un grand rire sonore, il sortit son revolver et tira deux ou trois fois dans la foule. Un cri isolé, déchirant, lui répondit. Il remit en ricanant son arme dans son étui et se mit à hurler à nouveau :
    —  Alle Jüden, raus, raus !
    Pendant quelques secondes, la foule resta muette. Les premiers rangs tentaient de se protéger des coups de feu en se faufilant par-derrière, mais les derniers rangs résistaient et le désordre était indescriptible. Les coups de feu continuaient, venant maintenant de droite, de gauche et de l’arrière. Alors, la masse humaine se rua dans l’étroit passage, menaçant de renverser les barricades ; mais les deux policiers allemands veillaient au bon ordre de l’opération. Ils tiraient en plein dans la figure des premiers Juifs pour ralentir leur allure.
    —  Ordnung, Ordnung ! hurlait le SS comme un possédé.
    — Du calme, du calme ! répétaient en écho les deux gardiens.
    Finalement les malheureux, affolés par les balles, se précipitèrent dans les deux wagons et les remplirent rapidement.
    Mais je n’avais pas vu le plus horrible. Je n’oublierai jamais la scène qui se passa ensuite, dussé-je vivre cent ans.
    Le règlement militaire nous apprend qu’un wagon de marchandises peut contenir huit chevaux ou quarante hommes. Sans aucun bagage, cent personnes au grand maximum peuvent tenir dans un wagon, à condition d’être littéralement collées les unes aux autres. Or, les Allemands avaient ordonné qu’on fasse tenir de cent vingt à cent trente Juifs dans chaque wagon. Se servant de la crosse ou du canon de leurs fusils, les policiers continuaient à entasser la foule dans les wagons déjà pleins à craquer. Les malheureux, fous de terreur, grimpaient sur les têtes et les épaules de leurs compagnons. Ceux-ci essayaient de les repousser en se protégeant la face. Les os craquaient et les hurlements devenaient insensés.
    Lorsqu’il n’y eut plus de place pour une aiguille dans les wagons, les gardiens tirèrent les portes et fermèrent hermétiquement le tout, chargement de chair humaine meurtrie, avec des barres de fer.
    Mais c’était loin d’être fini. Je sais que beaucoup de gens ne me croiront pas, ils penseront que j’exagère ou que j’invente. Et pourtant, je jure que j’ai vu ce que je décris. Je n’ai pas d’autres preuves, pas de photographies, mais tout ce que je dis est vrai.
    Le plancher du train avait été recouvert d’une épaisse couche de poudre blanche : c’était de la chaux vive. Tout le monde sait ce qui arrive quand on verse de l’eau sur de la chaux : le mélange devient effervescent et dégage une chaleur intense.
    La chaux, ici, était employée par les Allemands dans un double dessein d’économie et de cruauté. La chair moite, mise en contact avec la chaux se déshydrate rapidement et brûle. Ceux qui se trouvaient dans le train seraient brûlés lentement jusqu’aux os. Et ainsi s’accomplissait la promesse faite par Himmler à Warszawa, en 1942, selon laquelle et « conformément à la volonté du Führer, les Juifs périraient dans les tortures ». De plus, la chaux empêcherait les cadavres de se décomposer et de répandre des maladies contagieuses. Le procédé était simple, efficace et peu coûteux.
    Il fallut trois heures pour remplir le train complètement. Le crépuscule tombait quand la porte du dernier wagon se ferma : c’était le quarante-sixième d’après mes calculs. Il s’est avéré que le train était de

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