Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
Vom Netzwerk:
La première neige était tombée la veille et ses prismes couvraient les trottoirs. Je marchais très vite pour me réchauffer et je m’efforçais de mémoriser en route tous les coins qui m’étaient chers de ma Warszawa. Je fis le chemin sans incident, après avoir évité une patrouille allemande. Lorsque j’arrivai à l’église, l’aube pointait. La messe devait avoir lieu dans la chambre même du père Edmund, qui habitait juste derrière l’église. Mes meilleurs amis étaient déjà là et quatre femmes avaient même bravé le froid et la neige pour moi : il y avait cet écrivain connu que nous admirions tous pour son action passionnée dans la Résistance clix , il y avait mon amie des Beaux-Arts, sculptrice réputée, mon chef direct et mes compagnons d’armes les plus proches étaient là, eux aussi. Les rideaux avaient été tirés et la lueur vacillante des bougies éclairait seule la scène. L’atmosphère était mystérieuse, exceptionnelle. J’étais sincèrement ému.
    Nous nous serrâmes tous la main en silence. La cérémonie religieuse commença ; elle fut paisible et magnifique. Nous faisions les réponses à voix basse, puis nous allâmes tous nous agenouiller à la sainte table. Il n’y eut pas de sermon. Dès que la messe fut dite, le prêtre prit son missel et nous répétâmes avec lui les paroles des prières pour les voyageurs. J’écoutais en silence, les yeux humides.
    Mes camarades avaient voulu me faire une surprise et ils avaient préparé un cadeau pour moi, le plus beau de tous les cadeaux. Le père Edmund me fit signe d’approcher et, lorsque je fus devant lui, il me fit mettre à genoux et me demanda de me découvrir la poitrine ; alors il prit un scapulaire entre ses mains et parla solennellement :
    — Les autorités de l’Église au service de notre Patrie martyrisée m’ont autorisé à te remettre ce scapulaire. Il contient le corps du Christ et tu le porteras durant tout ton voyage. Je te remets donc, soldat de Pologne, cette hostie consacrée ; elle te protégera de tout mal car, si tu es en danger, tu pourras l’avaler et aucun malheur ne saurait t’atteindre.
    M’ayant passé le scapulaire autour du cou, le prêtre s’agenouilla près de moi et pria avec moi ; la pièce était silencieuse, seul le bruissement des chapelets troublait la solennité du moment.
    Durant les vingt et un jours que dura mon voyage à travers l’Europe occupée, je portai ce trésor sur ma poitrine, traversant l’Allemagne, la Belgique, la France, l’Espagne pour, à Gibraltar, monter à bord d’un avion britannique. Au cours de ce voyage, ma vie n’a pas été réellement en danger. À mon arrivée à London, dès que je fus autorisé à sortir, j’allai à l’église polonaise près de Devonia Road. Le père Ladislas clx , auquel je me suis confessé, ne fut pas ravi par la permission accordée à un laïc de porter sur lui une hostie, mais il ne critiqua pas ouvertement les prêtres de Warszawa.
    Il ouvrit le scapulaire, en sortit l’hostie, me fit communier avec elle et déclara : « Je conserve le scapulaire. Il sera suspendu auprès de l’image de Notre-Dame de Czestochowa, en ex-voto. »

Chapitre XXXI Retour Unter den Linden
    Le jour que j’attendais depuis si longtemps arriva enfin. Je quittai Warszawa sans tambour ni trompette et sans que personne me vît partir. Mes papiers étaient parfaitement en règle avec un magnifique faux cachet sur ma photographie de passeport français, le film remarquablement dissimulé dans le manche de mon rasoir. J’avais beaucoup d’argent et un très bon moral.
    Le train était bondé de voyageurs de toutes les nationalités imaginables, ce qui me faisait passer complètement inaperçu. Néanmoins, je scrutais les visages, essayant de découvrir des agents de la Gestapo que je pensais pouvoir reconnaître à première vue. Quand j’en repérais un ou lorsqu’on me demandait de montrer mes papiers, je ne me sentais pas très à mon aise.
    Pourtant, il n’y avait pas de danger tant que je ne serais pas entraîné dans une conversation où je courais le risque de me découvrir. Pour prévenir cette éventualité, j’avais fait l’achat d’un flacon de médicament. Une fois assis dans mon coin, j’en imbibai un mouchoir et me tamponnai la bouche, affectant d’indicibles maux de dents. J’avais l’assurance que quiconque jetterait un regard sur ma figure, tordue par la douleur, se garderait de me parler.
    Le

Weitere Kostenlose Bücher