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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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autour de moi.
    Mon premier mouvement fut de me précipiter en lieu sûr. N’importe où, à Berlin, j’étais entouré d’ennemis ; à tout instant, je m’attendais à ce qu’on me frappât sur l’épaule et me questionnât.
    Les paroles de Rudolf me remplissaient d’orgueil. Elles résonnaient encore à mes oreilles : « Tous les Polonais sont les ennemis du Führer et du III e Reich… Ils essaient de nuire à l’Allemagne partout où ils le peuvent…» Quel hommage !
    Je retournai à la gare et je m’étendis pour me reposer dans la salle d’attente froide et sombre. Mon esprit revenait en arrière, aux temps anciens où j’étais avec Rudolf et Berta. Ils étaient si gentils et sincères dans leur affection que je leur rendais. Ils semblaient si chaleureux et spontanés. Maintenant, ils étaient irrévocablement, désespérément contaminés. Y avait-il moyen de les transformer et de les racheter ? Ce problème occupait mes pensées. Après la guerre, qu’adviendrait-il de ce pays, soumis depuis dix ans à un régime qui abolissait toute humanité, toute dignité ? Est-ce que cette jeunesse, dont j’avais vu les représentants en ces deux jeunes hitlériens s’abandonnant à leur instinct de cruauté, un après-midi, dans le ghetto de Warszawa, pourrait être rééduquée et appelée à nouveau à prendre sa place dans un monde fondé sur la dignité et le respect d’autrui ?
    Je passai la nuit dans la salle d’attente et quittai Berlin le matin suivant.

Chapitre XXXII Vers London
    Pendant mon voyage de Berlin à Bruxelles, je continuai à faire semblant d’avoir mal aux dents. Cette fois-ci, je ne passai pas inaperçu. Un gros commerçant belge plein d’empressement tint à me prodiguer ses gloussements de sympathie. Mes réponses monosyllabiques et peu aimables ne le rebutèrent pas, et à l’arrivée à Bruxelles, il voulut à tout prix m’accompagner au poste de la Croix-Rouge allemand. Il s’attachait à moi comme une sangsue et il n’y avait aucun moyen de m’en débarrasser sans attirer ses soupçons. Heureusement, il ne remarqua pas mon accent en français. Mon mal de dents me sauva.
    Au poste, ma mâchoire fut examinée par un sous-officier allemand en uniforme et par une infirmière. À la fin, l’infirmière me gronda en souriant :
    — Vous êtes très négligent. Cela vous a déjà coûté pas mal de dents. Maintenant que vous souffrez, vous apprendrez à prendre soin de vous.
    J’avais une terrible envie de lui dire que ce qu’elle appelait ma « négligence », c’était les « soins » des hommes de leur Gestapo.
    Ils tinrent à m’appliquer un antiseptique et à me donner un calmant. Leur sollicitude m’amusait. « Voilà la guerre, pensais-je. D’un côté, des Allemands qui me brisent les dents, d’un autre côté, des Allemands qui désinfectent les blessures. »
    Je fis de mon mieux pour mettre fin à cet incident le plus rapidement possible. Heureusement, ils ne me demandèrent aucun papier et j’affectai de ne pouvoir parler clairement. Dans le train de Paris, je renonçai au rôle de l’homme qui a mal aux dents et je m’assoupis sous l’influence du calmant.
    J’arrivai dans Paris occupé, à 6 heures, par un matin froid et pluvieux. Il était trop tôt pour aller à l’endroit convenu où je devais donner le mot de passe. Je laissai ma valise à la consigne et sortis faire un tour.
    Je fis le long trajet de la gare du Nord aux Champs-Élysées. L’atmosphère était insupportable. Paris – la ville lumière –, maintenant mélancolique et appauvrie, s’abîmait dans une lassitude sans fond. Sur les Champs-Élysées, tristes et déserts, je me laissai tomber sur un banc. Chaque fois que j’étais venu à Paris, j’avais eu envie d’y rester pour toujours. Cette fois, mon seul désir était d’en partir au plus vite et d’aller goûter à la liberté du vaste monde, hors de la zone d’influence et d’occupation allemandes.
    Le cours de ma rêverie fut interrompu par le martèlement des pas d’un détachement casqué d’acier, arme sur l’épaule, la tête dressée avec orgueil et mépris. Le pavé résonnait sous leurs bottes. Pour la première fois depuis le début de la guerre, je sentis des larmes couler sur mes joues.
    Je retournai vers la gare du Nord, l’esprit agité par le spectacle de ce triomphe arrogant ; j’aurais voulu sauter au cou du premier ouvrier français rencontré et lui dire :
    — Confiance,

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