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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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tigre enragé, montrant les dents à son adversaire avec une fureur disproportionnée. Je me rappelle qu’un jour, l’une de nos connaissances communes, étudiant en histoire, un cynique et un coureur de jupons notoire, a entrepris de démontrer que cette passion pour le violon n’était que la compensation d’un grand manque de confiance en soi, notamment dans sa… virilité. Le tout était servi dans une « sauce freudienne » pour se donner des airs scientifiques. Dziepaltowski riposta par une attaque en règle contre le genre de vie de son agresseur et prouva – en s’appuyant également sur Freud – que tous ses succès féminins qu’il aimait à étaler n’étaient que l’expression d’un complexe de virilité et d’une totale incapacité à cultiver avec le sexe faible des relations normales et durables. Le camarade « Don Juan » en était resté sans voix et s’éclipsa. Il n’a plus jamais adressé la parole à Dziepaltowski. Il ne l’a même plus jamais salué. La plupart de nos camarades admettaient qu’il était agréable, mais trop inaccessible aux compromis, et d’un abord trop difficile. Je ne l’ai jamais vu en compagnie d’une jeune fille. Sans doute cette âme d’artiste vouait-elle toutes ses émotions à l’Art avec une majuscule et ne se préoccupait pas de questions aussi terre à terre qu’un flirt avec une amie.
    Mon amitié pour lui naquit incidemment. En tant qu’étudiant de l’université, un de mes plus grands plaisirs était de participer aux conférences organisées à l’intention de la jeunesse paysanne des environs de Lviv par la Société polonaise des écoles du Peuple. Le but de ces conférences était simple : il s’agissait de réduire la distance et les écarts du niveau éducatif entre la ville et la campagne.
    Pendant trois ans, chaque dimanche, je me rendais dans les villages voisins de Lviv, polonais ou ukrainiens, et donnais des conférences sur un sujet d’histoire, de littérature polonaise, d’hygiène ou même sur le mouvement coopératif xxx .
    Pour rendre ces conférences plus attrayantes, les organisateurs m’envoyèrent un jour un élève du lycée de musique, qui devait jouer du violon à la fin de la séance, pour récompenser ceux qui seraient restés jusqu’au bout. Cette initiative eut un succès prodigieux. Dziepaltowski jouait bien. Il joua du Paganini et du Wieniawski, et la jeunesse paysanne l’écoutait comme transportée. De plus, il était grand et séduisant. Quand il jouait, il était complètement absorbé par son jeu – ses longs cheveux, son visage pâle, ses yeux sombres et mobiles firent des ravages parmi les jeunes filles du village.
    En comparaison de l’ovation qu’on lui fit, les applaudissements de courtoisie que je recevais habituellement étaient bien maigres. Au fond j’étais jaloux, mais le succès de cette mission éducative prit le dessus et nous nous mîmes d’accord pour renouveler souvent nos expéditions. Il attirait des foules à nos conférences. Nous remportâmes un énorme succès.
    À la fin de ces séances, nous étions tous deux très heureux. Sur le chemin du retour nous tenions de longues conversations très animées. Nous discutions de l’importance de notre travail commun, du besoin de susciter une meilleure compréhension entre les deux classes car, en Pologne, malheureusement, beaucoup d’intellectuels ne connaissaient les paysans que par les livres et les films.
    J’en vins à admirer son esprit souple autant que son talent, et j’étais profondément frappé par l’intégrité et le courage avec lesquels il luttait contre le handicap de la pauvreté, et une santé toujours délicate et chancelante. Quand j’étais à l’étranger, nous nous écrivions souvent. J’appris ainsi qu’il s’était installé à Warszawa où il continuait sa carrière avec son habituelle ardeur. Nous venions de renouer les fils de notre amitié lorsque la guerre éclata. J’étais sûr que Dziepaltowski, s’il était toujours vivant et si je le trouvais chez lui, aurait la même attitude et les mêmes sentiments que moi. Je ne fus pas déçu.
    Son accueil fut cordial, bien que plus réservé, étant donné l’heure et les circonstances. Je voyais qu’il était très heureux de me voir vivant et libre, et sincèrement apitoyé par le triste état de santé qu’annonçaient ma maigreur et mon mauvais teint. Lui aussi avait changé considérablement, mais tout à son avantage. Il

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