Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
ne m’avait pas indiqué ce qu’il fallait dire. Il n’avait rien prévu, sauf mon nom. Je n’avais aucune idée de la profession ni du caractère que ma « nouvelle peau » devait recouvrir.
Ma chambre était agréable, assez grande, mais très peu meublée et ornée seulement d’une reproduction bon marché d’une Madone de Raphaël ; un tissu rouge râpé était posé sur le dos de l’unique fauteuil de bois en guise de décoration. Après m’être entendu avec mon hôtesse et lui avoir donné de l’argent pour qu’elle m’achète des provisions, je me retirai dans ma chambre en prétextant une grande fatigue.
Deux jours plus tard arriva un épais courrier de Dziepaltowski. Vers midi, M me Nowak frappa à ma porte pour m’annoncer un visiteur. C’était un tout jeune homme de tout au plus dix-huit ans.
— Êtes-vous monsieur Kucharski ?
— Oui.
— Ceci est pour vous. Au revoir.
J’ouvris l’enveloppe nerveusement. C’était les papiers de « Kucharski ». Il ressortait que j’étais né en 1915 à Luki, que je n’avais pas servi dans l’armée à cause d’une santé délicate et que j’étais, pour le moment, instituteur dans une école primaire. C’était un choix heureux, car les gens de cette profession étaient, en ce temps-là, mieux traités que les autres à condition de ne pas enfreindre les ordres des Allemands. L’enveloppe contenait aussi un message de Dziepaltowski. Il y indiquait une adresse où je devais aller pour me faire faire une photo d’identité et me prévenait qu’il ne pourrait me voir avant deux ou trois semaines.
Le « photographe » était installé dans l’arrière-boutique d’une modeste épicerie, derrière un amas de caisses et de sacs, dans le quartier de Powisle xxxii . Il semblait savoir tout ce qui me concernait. Son travail consistait à faire de moi un portrait assez ressemblant pour être pris pour le mien mais avec des traits assez vagues pour que je puisse le désavouer si besoin était.
C’était un petit homme chauve, très actif, qui répondait à peine aux remarques que je lui adressais. Je compris que ses façons taciturnes étaient délibérées et je me tins tranquille pendant qu’il se concentrait sur son travail. Le résultat fut un chef-d’œuvre en miniature d’ambiguïté photographique. Il me le tendit avec un sourire satisfait. J’y jetai un coup d’œil et m’émerveillai à haute voix de son habileté :
— C’est incroyable, dis-je, cela me donne l’impression que je me suis rencontré quelque part, je ne sais plus exactement où.
Il rit sous cape et, ôtant la visière qu’il portait afin de mieux examiner son œuvre, approuva d’un signe de tête et dit qu’il était de mon avis.
— C’est bon, très bon. Une de mes meilleures.
— Elles sont d’un art diabolique, continuai-je, espérant lui délier la langue. En faites-vous beaucoup ?
Il éclata de rire et se battit les flancs.
— Toi aussi, tu es diaboliquement malin, jeune homme ! Quelle bonne question ! Il faut revenir me voir un de ces jours et m’en poser d’autres. Aujourd’hui, je suis très occupé. Au revoir, monsieur le curieux. Ha, ha !
Il riait encore quand je sortis. Il était maintenant évident que Dziepaltowski faisait partie d’une sorte d’organisation ou qu’il partageait avec des amis un secret dont je ne pouvais deviner la nature. J’avais lu beaucoup de choses sur les activités clandestines polonaises contre la Russie tsariste, avant la Première Guerre mondiale, mais il ne me vint pas à l’esprit de faire un rapprochement. Cependant, je tirai une certaine satisfaction de mes papiers en règle et commençai à espérer en l’avenir.
Les deux semaines suivantes furent encore loin d’être agréables. Le temps me pesait. Je lisais à petite dose la littérature peu passionnante de la bibliothèque de mon hôtesse, fumais, me promenais de long en large dans l’appartement. Mes relations avec mon hôtesse devinrent plus amicales mais elle était toujours trop affairée, ou trop fatiguée, pour être sociable. Il était trop compliqué de chercher un emploi et, d’ailleurs, je comptais que les bagues et la montre me suffiraient pour plusieurs mois.
Par-dessus tout, j’étais fermement convaincu que la guerre serait bientôt finie et que la France et l’Angleterre victorieuses viendraient libérer la Pologne. C’était l’opinion de la plupart des gens et même, comme je devais
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