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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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demande pas tant de courage. Mais crois-tu que ce soit si facile d’obtenir de faux papiers ?
    — On peut en obtenir, dit-il laconiquement.
    — Mais moi, puis-je en obtenir ? demandai-je en insistant et essayant de le faire parler davantage. Faudra-t-il que je les paie ?
    — Tu poses trop de questions, Jan. (Il s’était aperçu de ma manœuvre.) En ce moment, il n’est pas bon d’être aussi curieux. Tu paieras ce qu’on te demandera.
    Sourd à son conseil, je demandai qui était ce « on ». Il ne daigna même pas répondre. Je commençais à comprendre ce qu’il voulait. Il fallait que j’accepte ce qu’il me proposait, sans plus, que j’aie confiance en lui. Je me décidai à suivre toutes ses suggestions. Depuis que j’avais quitté la chaumière des paysans, j’avais vécu au hasard, comme un bateau à la dérive, sans direction ni destination. Mais à présent, en parlant avec Dziepaltowski, ma volonté s’était raffermie, et je commençais à prendre de vagues résolutions. J’avais foi en son intégrité et son courage. Je lui demandai donc un conseil :
    — Que penses-tu donc que je doive faire ?
    — D’abord, il te faut habiter quelque part.
    Il se dirigea rapidement vers le bureau qui se trouvait à l’autre extrémité de la pièce et griffonna rapidement quelques mots. Je le regardais en souriant. Comme il était devenu pratique, lui que j’avais toujours considéré avec indulgence comme un idéaliste, la tête dans les nuages.
    Il me tendit le papier et se mit en devoir de m’expliquer ce que serait ma nouvelle façon de vivre.
    — Lis, mémorise et détruis ce papier : tu vas porter un nouveau nom. Tu t’appelleras Kucharski. L’appartement où je t’envoie appartient à la femme d’un ancien employé de banque qui est aujourd’hui prisonnier de guerre. On peut lui faire confiance, mais sois prudent avec elle ; sois prudent avec tout le monde. Il faudra que tu prennes l’habitude de ta nouvelle peau : ne te vends pas ! Ta sécurité en dépend… et la mienne aussi !
    Ce qu’il me disait et la manière dont il le disait éveillaient tant ma curiosité que je pouvais à peine me contenir. Mille questions me venaient aux lèvres. Il y coupa court en tirant sa montre et en y jetant un coup d’œil.
    — Il est très tard et j’ai encore beaucoup de travail. Il faut me laisser, maintenant. Va à cette adresse. Vends une bague et procure-toi des vivres : du pain, du jambon, de l’alcool. Gardes-en une certaine quantité chez toi et sors le moins possible. Je viendrai te voir dans quelques jours et t’apporterai tes nouveaux papiers. Au revoir, et ne t’inquiète pas. Ta propriétaire aura besoin de tes papiers pour te faire enregistrer, mais elle ne te demandera rien avant ma visite.
    Bien que je n’en aie rien su alors, c’était mon initiation qui avait commencé : je venais d’entrer dans la résistance polonaise. Il n’y avait là rien d’extraordinaire ou de romantique. Cela ne demanda de ma part ni décision, ni sursaut de courage, ni esprit d’aventure. Cela fut tout simplement le résultat de ma visite à un ami de Lviv, largement dictée par le désespoir et le désœuvrement.
    En m’en allant, je n’avais pas du tout conscience de ce qui venait d’arriver. L’état de dépression dans lequel je me trouvais depuis que j’avais vu ma sœur n’avait pas disparu mais, du moins, avais-je maintenant l’espoir que l’avenir apporterait du nouveau. Les façons déterminées de Dziepaltowski, sa manière de parler et d’agir m’avaient fait entrevoir pour un avenir proche un but ou une fonction analogues aux siens.
    À l’adresse que m’avait donnée Dziepaltowski, je trouvai un appartement de trois pièces, convenable sinon luxueux. Il était habité par une femme de trente-cinq ans environ et son fils, âgé de douze ans. M me Nowak xxxi avait dû être belle, et sans doute élégante. Ses traits étaient encore fins mais son visage était fatigué et soucieux, ses sourcils perpétuellement froncés par l’anxiété. Zygmus, son fils, sur qui elle avait les yeux constamment fixés avec une tendresse inquiète, était un grand garçon délicat qui ressemblait à sa mère. Il était exceptionnellement mûr pour son âge. Ils m’accueillirent tous deux avec cordialité, mais la mère était si dépourvue d’énergie et le fils si timide qu’il me fut facile d’éviter toute espèce de confidence. Heureusement, car Dziepaltowski

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