Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
apprenait ses leçons. Elle me prépara une tasse d’ersatz de thé que je me mis à boire avec délices. Puis, avec un charmant sourire, le sourire de l’hospitalité polonaise d’avant guerre qui me sembla alors radieux, elle étendit un peu de confiture sur une tranche de pain et me l’offrit.
Quand j’eus fini de manger, nous nous mîmes à causer. Nous parlâmes un moment de Warszawa, de la guerre et des Allemands puis, tout naturellement, elle me raconta sa lutte pour l’existence, ses nuits anxieuses, ses inquiétudes au sujet de son mari, son espoir que, quel que soit son sort à elle, il retrouverait Zygmus sain et sauf. À la fin, l’émotion causée par la révélation de tant de chagrins l’étreignit et elle se mit à pleurer. Le jeune Zygmus fut surpris et effrayé. Son visage délicat pâlit, il courut vers sa mère et l’entoura de ses bras.
Ils se tenaient enlacés, pleurant comme s’ils avaient le cœur brisé, tous deux minces et pâles, tristes et impuissants. Je me sentis plein de pitié pour eux et coupable d’ajouter à tout ce qui les menaçait. Je me décidai, tout en me rendant compte de mon imprudence, à lui dire la vérité. J’envoyai l’enfant se coucher en lui disant que j’avais à parler à sa mère :
— Je n’ai pas terminé mes devoirs, me dit-il. Puis-je lire au lit ? Maman me rappellera quand vous aurez fini, voulez-vous ?
Elle accompagna le garçonnet à sa chambre.
— Et maintenant, dit-elle en revenant, avec un sourire de conspiratrice, qu’avez-vous à me dire ?
— Je sais que j’agis contre la discipline de l’organisation à laquelle j’appartiens. Néanmoins, je pense que je dois vous prévenir. Ma présence est un danger pour vous. Je travaille dans la Résistance. On m’apporte ici des papiers, des journaux clandestins, des bulletins radiophoniques et il faut souvent que je les garde plusieurs jours, cela vous compromet, vous et Zygmus. Je n’avais pas du tout l’intention de vous avertir, mais tout à l’heure, en vous regardant, j’ai pensé qu’il vaudrait mieux que je déménage.
Elle se leva en souriant avec gentillesse et me tendit la main. Puis elle dit, presque gaiement :
— Merci, merci beaucoup.
Elle entra dans la chambre de son fils et je l’entendis lui dire :
— Zygmus, viens nous rejoindre. Il n’a pas de secret à nous raconter.
L’enfant jeta un cri de joie et revint dans la cuisine. Il s’assit à sa table et continua son travail. Sa mère s’assit à côté de lui et lui demanda de cesser d’écrire.
— Je veux que tu saches ceci, dit-elle, M. Kucharski vient de m’informer qu’il veut déménager parce qu’il refuse de nous exposer à un danger. Il travaille dans la Résistance, qui combat pour notre liberté et le retour de ton père. Il craint qu’on nous fasse du mal à nous aussi, s’il lui arrive d’être arrêté par les Allemands. Dis-moi, Zygmus, qu’allons-nous lui répondre ?
Il y eut un moment de silence embarrassé. J’étais déconcerté. Je commençai à penser que j’avais été idiot de me démasquer aussi complètement devant cette faible femme et son enfant. Zygmus semblait perplexe ; il promenait son regard de mon visage à celui de sa mère, essayant de découvrir ce qu’on attendait de lui. Le visage de la mère avait une expression triomphante. Son regard était posé sur le garçonnet, plein de fierté et de confiance.
— Eh bien, Zygmus, que répondrons-nous ? Elle lui souriait.
Le garçon se leva, vint vers moi, et mit sa petite main moite dans la mienne.
— Ne craignez rien pour nous, dit-il me fixant de ses grands yeux bleus candides. Ne partez pas – nous savions que vous luttiez contre les Allemands. Maman me dit tout. Elle sait que je suis capable de garder un secret.
Ses yeux étincelaient et sa main tremblait dans la mienne quand il ajouta :
— Même si l’on me bat, je ne dirai pas un mot. Je vous en prie, monsieur Kucharski, restez avec nous.
J’avais sans doute l’air embarrassé et irrésolu, car l’enfant, d’un geste brusque et étrange, retira sa main et se mit à me caresser les cheveux comme pour me calmer et me détendre. La mère sourit.
— N’ayez aucune crainte. Ne vous inquiétez pas au sujet de Zygmus. Il ne parlera jamais. Il est presque toujours avec moi et, en tout cas, il ne nous mettrait pas en danger par un sot bavardage. Les enfants mûrissent vite en temps de guerre.
Je ne répondis rien.
— Il
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