Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
Vom Netzwerk:
plus tard qu’une centaine de membres de la Résistance avaient été pris dans cette opération. Ils furent tous, sans exception, remis en liberté. Chacun avait ses papiers en règle, pouvait donner des preuves de ses occupations et faire un récit satisfaisant de son histoire personnelle. Chacun était capable de répondre à toutes les questions de manière vraisemblable et avec assurance.
    Tout cela est un arrière-plan nécessaire à la compréhension de la situation exacte des hommes qui se décidèrent à travailler, en Pologne, dans la clandestinité. La vie d’un membre de la Résistance offrait des compensations qui contrebalançaient grandement ce que certains avaient à souffrir. Quant aux quelques misérables qui collaboraient, ces gens-là craignaient en premier lieu les Polonais. Ils savaient que leur attitude était totalement réprouvée et qu’eux-mêmes étaient méprisés. Ils avaient à craindre les sanctions de la Résistance. Et les Allemands n’avaient qu’une confiance très limitée en ces néophytes : la collaboration s’accompagne toujours d’une suspicion réciproque. Les collaborateurs se trouvaient ainsi entre le marteau et l’enclume xxxviii .
    Par ailleurs, il faut insister sur le fait que ceux qui ne résistaient pas activement aux Allemands n’étaient pas pour autant du côté des traîtres. Beaucoup de Polonais qui ne faisaient pas partie de l’organisation clandestine étaient néanmoins des gens braves et honnêtes, dont le rôle n’était limité que par les circonstances. Ce rôle leur valait souvent de grandes souffrances et de grands sacrifices : il consistait à ne jamais empêcher et à aider souvent le travail de la Résistance.
    Ma propriétaire était le type parfait de ces personnes-là. Elle n’appartenait à aucun mouvement clandestin. D’abord, ce n’était pas très facile d’y entrer. L’organisation exigeait de ses membres une certaine endurance physique et une relative liberté leur permettant d’accomplir les tâches qui leur étaient assignées. Pour un célibataire comme moi, il était relativement facile de sacrifier tout son temps et toute son énergie à l’organisation ; de vivre n’importe où et dans n’importe quelles conditions. La plupart de ceux qui avaient une famille ne pouvaient vivre de cette existence déséquilibrée, ni supporter la perspective des représailles allemandes sur eux ou les leurs.
    M me Nowak avait assez à faire pour assurer son existence et celle de son fils. Elle passait des jours entiers à courir Warszawa en quête de pain ou d’une portion de margarine pour son jeune fils. Elle faisait de longues marches harassantes dans la campagne pour trouver de la farine ou un morceau de jambon. Au début de la guerre, elle avait vendu presque tout ce qu’elle avait pour se nourrir.
    Plus tard, elle acheta du tabac aux paysans et fabriqua, avec l’aide de Zygmus, des cigarettes qu’elle vendait au « marché noir ». À ces diverses activités s’ajoutaient les pénibles tâches quotidiennes : faire le ménage et la cuisine, fendre du bois, des caisses ou parfois même des meubles, pour faire du feu – sans parler des problèmes angoissants que lui causaient le bien-être et l’éducation de son fils.
    — Après le travail de la journée, me dit-elle une fois, je m’endors comme si j’avais été droguée. Les seules choses qui peuvent me réveiller sont des cauchemars, des cris dans la rue, le tintement d’une sonnette ou des pas lourds dans l’escalier. Alors, je saute du lit, le cœur battant, le sang glacé dans mes veines. J’ai peur. Vous ne pouvez imaginer comme j’ai peur. Je me tiens près du lit, incapable du moindre mouvement, écoutant, attendant que la Gestapo entre et me sépare de mon fils. Quoi qu’il arrive, je veux que mon mari revoie son fils, s’il revient de captivité. C’est un si bon petit… mon mari l’aime tant…
    Au début, je ne lui fis aucune confidence. Je me disais que cela valait mieux pour elle de ne rien savoir et de ne pas s’inquiéter. Souvent, notre travail exigeait ainsi que nous exposions nos hôtes, sans même qu’ils le sachent. Mais, sous peine d’interrompre notre tâche, nous ne pouvions pas l’éviter, et après tout, nous courions aussi pas mal de risques.
    Un soir, je rentrai absolument abattu et épuisé. M me Nowak venait de finir son repassage. Elle m’invita à m’asseoir à la table de la cuisine, près du feu où Zygmus

Weitere Kostenlose Bücher