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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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tout cela.
    — Il n’y a qu’une issue, répondit-elle. La défaite des Allemands doit être immédiatement suivie par une terreur de masse implacable dirigée contre ceux qui ont envahi notre territoire et nous ont fait du mal. Leurs « colons » seront traités exactement comme ils ont traité les Polonais. Ils seront chassés d’ici par la force. Il n’y aura aucun compromis, sinon le problème de la « dégermanisation » de Poznan et des autres régions s’enlisera. On voudra recourir à des négociations, à des plébiscites, des réparations de guerre, dédommagements et échanges de biens. Ne nous faisons pas d’illusions, la situation ne cesse d’empirer et elle ne pourra être modifiée et retournée en notre faveur que par une terreur de masse, radicale – voilà ce que me disait cette belle et délicate jeune fille.
    Elle s’efforçait de choisir et peser ses mots. Mais l’on sentait derrière son calme apparent une forte charge émotionnelle. Elle haïssait les Allemands aussi profondément qu’elle aimait sa patrie.
    Elle conservait son sang-froid et seul le tremblement de ses lèvres trahissait ce qui se passait dans son esprit… Je me demandais comment un esprit aussi indépendant avait pu se résoudre, ne fût-ce que nominalement et dans un but très précis, à adopter la nationalité allemande.
    — Puis-je vous demander, dis-je avec précaution, pour quelles raisons vous vous êtes fait inscrire comme Allemande ? N’auriez-vous pu, sans cela, servir la Pologne ?
    — Cela aurait été absolument impossible. Vous, dans le Generalgouvernement, vous avez de tout autres conditions, et vos méthodes sont entièrement différentes des nôtres. Ici, dans le Reich, les Polonais en général, et les intellectuels en particulier, n’existent pas « légalement ». C’était le seul moyen de rester et de travailler ici.
    — Beaucoup de patriotes polonais se sont-ils fait inscrire comme Allemands ?
    — Pour être franche, il faut que je vous réponde : non, malheureusement. Mon père lui-même se cache à la campagne parce qu’il ne veut pas se déclarer Allemand ; cela l’obligerait à une collaboration politique ; il n’en veut à aucun prix. En étant si patriotes et si intransigeants, beaucoup nous causent un réel préjudice. Tout sens de loyauté et d’honneur devrait disparaître quand il s’agit de lutter contre les méthodes nazies. En septembre, les citoyens polonais d’origine allemande ont trahi en bloc : ils ont retourné leurs armes contre la Pologne. C’est pourquoi, quel que soit l’avenir de la Pologne, nous ne pouvons permettre que des Allemands vivent ici. Ils ne sont loyaux qu’envers l’Allemagne. Nous l’avons vu. Un ou deux misérables traîtres polonais les ont suivis. La plupart des Polonais patriotes, presque sans exception, ont refusé avec entêtement d’être enregistrés comme Allemands. À cause de cela, il n’y aura bientôt plus de Polonais dans cette province. À tout prix, il s’agit de ne pas se laisser expulser, même s’il faut devenir Volksdeutsch ou Reichsdeutsch pour rester.
    Je voyais qu’elle disait vrai et commençai à me rallier à ses opinions. Bien qu’elle eût beaucoup d’admiration pour les esprits indépendants qui, au prix de grands sacrifices, s’étaient entêtés à ne pas devenir allemands, elle m’obligea à reconnaître qu’il eût été plus sage de céder, surtout de la part de ceux qui étaient capables de faire notre travail. Elle remarqua que j’avais changé d’opinion.
    — Comprenez-vous maintenant ? En deux mois d’occupation, les Allemands ont déjà transféré plus de quatre cent mille Polonais de la province incorporée dans le Generalgouvernement.
    — Comment s’y prennent-ils ?
    — Ce n’est pas compliqué. Les gens de la classe moyenne qui ne se sont pas fait enregistrer comme Allemands sont emprisonnés sans avertissement. Les paysans, les ouvriers et les artisans reçoivent l’ordre d’évacuer leur maison dans les deux heures. Ils sont autorisés à emporter cinq kilos de vivres et de vêtements. Leur maison doit être nettoyée et mise en ordre pour accueillir leurs successeurs allemands, à qui ils doivent laisser tous leurs biens. Souvent la police oblige les enfants à faire des bouquets et à les placer sur les tables et les seuils des maisons comme symboles de bienvenue pour l’arrivée des colons allemands.
    Notre conversation prit fin, car son père,

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