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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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devanture s’étalaient de grands portraits du Führer.
    En regardant les innombrables soldats allemands faire le pas de l’oie dans les rues, je fus saisi de colère. Je me rendis compte que même des gens impartiaux, en voyant ce que je voyais, croiraient, si on ne leur disait pas la vérité, que Poznan était vraiment « une ville purement allemande ». J’avais moi-même peine à croire que c’était là la ville que j’avais connue avant la guerre, tant son visage avait changé en quelques mois.
    Pour être mieux camouflé, j’avais reçu pour la durée de cette mission des papiers au nom d’un authentique Polonais d’origine allemande vivant à Warszawa et qui, depuis un mois, était parvenu en France, tandis que sa famille s’était éclipsée de la capitale. J’avais appris par cœur toutes les informations relatives à ma « famille ». J’étais donc – disons Andrzej Vogst. Je me rendais chez Helena – disons Siebert, qui se portait caution de mon comportement à Poznan et, en général, en Allemagne.
    Si la Gestapo avait entrepris de vérifier ce Vogst, elle aurait eu bien du mal à découvrir cette mystification. Le personnage figurait bien sûr dans les registres de la paroisse évangélique et était régulièrement enregistré. Son appartement était occupé par de la famille très éloignée qui le connaissait parfaitement et savait comment réagir en cas d’interrogatoire. C’est à cette même adresse que sa « fiancée » de Poznan lui écrivait. Vogst travaillait dans une firme d’équipement pour salons de coiffure… dont il achetait à son tour les cheveux, produit de valeur en temps de guerre. Il était en possession de tous les documents l’autorisant à voyager dans tout le Generalgouvernement xl .
    Il ne manquait au bonheur de ce Vogst que Poznan et les tendres persuasions de sa « fiancée » qu’il était un Allemand. Cela aussi se tenait parfaitement car son grand-père était bien un Allemand, marié dans une famille de la bourgeoisie de Warszawa qui l’avait complètement polonisé. Comme on le voit, la préparation de ma mission avait été très minutieuse afin de réduire les risques… à zéro. Ce n’était pas un travail de dilettantes.
    J’arrivai à destination et trouvai ma « fiancée ». C’était une jolie fille brune, si douce que j’avais du mal à imaginer qu’elle était, comme on me l’avait dit, un des membres les plus courageux et les plus capables de la Résistance. Comme il me fallut attendre un moment celui que je devais voir au sujet de ma mission, nous nous assîmes dans une grande pièce assez confortablement meublée en style ancien. D’abord, nous parlâmes de mon voyage, puis je lui dis tout ce que je savais des derniers événements de Warszawa. À son tour, elle me mit au courant de ce qui se passait à Poznan. Tous les intellectuels et tous les gens qui possédaient quelque chose avaient été chassés de la ville. Il en était de même dans toutes les autres régions incorporées au Reich. Les seuls Polonais qui étaient autorisés à rester étaient ceux qui s’étaient déclarés Allemands ou ceux qui se résignaient à vivre en proscrits. L’humiliation de ces derniers dépassait toutes les bornes. Ils devaient saluer les Allemands, leur céder le pas sur les trottoirs, ils n’avaient pas le droit de circuler en auto, ni en tramway, ni même de posséder une bicyclette. Ils ne jouissaient pas de la protection de la loi et tous leurs biens, meubles ou immeubles, étaient à la disposition des autorités allemandes.
    Elle me raconta tout cela d’une voix assurée, comme si elle récitait une page d’histoire qui ne l’intéressait en rien personnellement. Beaucoup de membres de la Résistance avaient appris cette façon détachée, impersonnelle, de considérer les problèmes qui les touchaient de près. Ils avaient découvert que la meilleure manière d’aborder un problème était de l’attaquer objectivement, quels que fussent leurs propres sentiments, afin de mettre leurs plans à exécution aussi froidement qu’un chirurgien à sa table d’opération.
    J’essayai d’adopter le même ton, quoique novice encore, et bien que ce que j’avais déjà vu dans Poznan m’eût mis dans un état d’esprit qui était loin d’être froid ou scientifique.
    Quand elle eut fini la description détaillée des conditions de vie de la région, je lui demandai comment, à son avis, nous arriverions à changer

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