Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
faut que vous restiez ici, continua-t-elle. Cela tranquillise ma conscience. En vous laissant habiter ici, je sens que je fais tout de même quelque chose pour la Pologne. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est tout ce que je peux faire, et je vous suis reconnaissante de m’en donner l’occasion.
Je me levai.
— Merci à tous deux pour votre gentillesse et votre bon cœur, dis-je. Je veux que vous sachiez, vous et votre fils, que je me sens vraiment chez moi ici, comme si j’étais dans ma propre famille.
Chapitre VII Initiation
Quand mes supérieurs ont jugé que j’étais suffisamment familiarisé avec les méthodes et la discipline de la clandestinité, je fus chargé de ma première mission. Je devais aller à Poznan : auparavant je dus prêter serment que jamais je n’évoquerais les détails de cette mission. En gros, je devais rencontrer un certain membre de la Résistance qui exerçait avant la guerre une haute fonction et examiner avec lui les chances de gagner à la Résistance ses anciens subordonnés. En raison du caractère de son travail, ce fonctionnaire possédait, de même que ses anciens employés, des contacts très étendus parmi les Allemands. Pour la Résistance, ce qu’il savait ainsi que ses contacts potentiels étaient d’une importance capitale.
On inventa pour mon voyage un excellent prétexte. La fille de celui que j’allais voir était prétendument ma « fiancée ». Poznan était situé dans la partie de la Pologne qui avait été incorporée au Reich. Les habitants de cette région pouvaient demander la citoyenneté allemande xxxix . Ma « fiancée » avait usé de ce privilège avec l’accord de la Résistance et avait de plus l’avantage de porter un nom allemand. J’en pris un aussi pour l’occasion. Elle avait demandé pour moi, à la Gestapo, l’autorisation de venir la voir. Elle prétendit pour cela qu’elle était impatiente de me rendre « conscient de mon origine et de mon sang allemands ». Elle obtint vite une autorisation et j’accomplis ma première mission très facilement, sous les auspices des Allemands.
J’atteignis Poznan sans difficulté. C’était une ville que je connaissais assez bien avant guerre. Située à environ trois cents kilomètres à l’ouest de Warszawa, c’est une des plus vieilles cités de Pologne, et beaucoup la considèrent comme le berceau de la nation polonaise aux siècles lointains où la Pologne avait émergé comme l’une des monarchies puissantes de l’Europe. La population de la province entière est purement polonaise et avait résisté pendant cent cinquante ans à plusieurs tentatives de germanisation par la force. Frédéric le Grand inaugura l’une de ces entreprises, en envoyant en Allemagne de jeunes Polonais et en les forçant à devenir des dragons prussiens. Il fit tout son possible pour étendre l’influence et la culture allemandes sur toute la province, mais sans résultat.
Plus tard, Bismarck institua une politique qui consistait à déposséder les fermiers polonais et à en faire des serfs allemands. Après la mort de Bismarck, des efforts intermittents furent faits pour prussifier Poznan. Ils échouèrent tous. En 1918, lorsque la Pologne recouvra son indépendance, tout vestige de l’influence allemande disparut et le vrai caractère polonais des habitants reparut, presque sans tache.
Je pensais à tout cela en marchant dans les rues de Poznan. Cette cité de Pologne qui possédait une si belle tradition historique avait maintenant toutes les apparences d’une ville allemande. Les enseignes des magasins, les inscriptions sur les banques et les monuments, le nom des rues étaient en allemand. On vendait des journaux allemands au coin des rues. Je n’entendis parler qu’allemand, bien que souvent avec un accent ou même une déformation voulue qui permettaient de déceler l’origine polonaise de celui qui parlait, mais jamais un mot en une autre langue.
J’appris plus tard que les Polonais qui avaient refusé d’être germanisés avaient été expulsés de la plupart des quartiers de la ville. Il existait des endroits où il n’y avait plus un seul Polonais. Certaines rues leur étaient interdites et ils ne pouvaient circuler librement que dans les faubourgs. Des dizaines de milliers de commerçants et de « colons » allemands avaient été amenés pour peupler cette « ville essentiellement allemande ». On voyait partout des bannières hitlériennes et à chaque
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