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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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habitons en réalité deux mondes différents.
    Il était maintenant en parfaite possession de lui-même et parlait d’une voix calme et modulée. Toutes ses questions révélaient une rare pénétration. Toute sa conversation indiquait une capacité de calculer avec sagacité, une ténacité froide, une richesse de ressources qu’il était difficile d’associer à la petite silhouette d’oiseau, à la jaquette ridiculement longue et au nœud papillon rebelle de l’après-midi. Je me demandais jusqu’à quel point ce costume était prémédité et s’il ne l’avait pas, consciemment ou inconsciemment, exagéré, dans un but de protection.
    — Cependant, continua-t-il, j’aimerais que vous informiez M. Borzçcki que je suis en parfait accord avec ses principes. Je ferai de mon mieux pour que son plan réussisse. Il faut, néanmoins, qu’il comprenne nos difficultés, nous aide dans la mesure du possible et excuse nos insuffisances.
    Je lui répondis que j’étais certain que nous découvririons le moyen de surmonter tous les obstacles. Nous restâmes encore un long moment assis dans la nuit tombante, évoquant les années passées.
    Enfin, le professeur se leva.
    — Il faut que je vous quitte, dit-il. Je m’excuse de ne pouvoir vous inviter chez moi, mais ce serait trop risqué. Je vous conseille de vous installer à l’hôtel Napoléon. Parlez peu et n’attirez pas l’attention. Vous savez encore trouver votre chemin dans Lviv ?
    — Très bien. Mais j’aimerais vous revoir, monsieur le professeur.
    — Attendez-moi demain dans le parc, à la même heure. Bonsoir.
    Le lendemain, je décidai d’aller voir l’autre chef de la Résistance, de qui le succès de ma mission dépendait.
    Il était propriétaire d’un magasin de vêtements dans le quartier des affaires, et c’était lui le chef de la section militaire de la Résistance à Lviv.
    — Bonjour, me dit-il ; que puis-je faire pour vous ?
    — Antoine vous salue, dis-je à voix basse, bien que le magasin fût vide. J’ai un message personnel pour vous.
    Il me jeta un regard soupçonneux. Je me rappelai ce que le professeur m’avait dit sur la police soviétique. Je me creusai la cervelle pour trouver le moyen de le convaincre de se fier à moi. Je me demandai à mon tour comment je pourrais m’assurer de l’identité de mon interlocuteur. Sur ce point, je fus bientôt satisfait :
    — Venez dans l’arrière-boutique, dit-il brièvement, en scrutant mon visage comme s’il espérait y trouver la solution d’un rébus.
    Je le suivis sans inquiétude, car il était sûrement celui que je cherchais : qui d’autre qu’un homme de la Résistance m’aurait introduit dans l’arrière-boutique d’un magasin vide ?
    — Je viens de Warszawa, dis-je, j’ai des informations à vous transmettre de la part de M. Borzçcki…
    — Je n’ai jamais entendu parler de lui, jeta-t-il. Je ne connais personne à Warszawa, sauf un ou deux parents.
    — Écoutez. Je m’appelle Jan Karski. J’ai été envoyé comme courrier pour améliorer les relations entre les organisations de Lviv et de Warszawa, pour vous mettre au courant des nouveaux plans de réorganisation.
    Il m’examinait avec attention.
    Je me dis qu’il n’avait sans doute jamais entendu mon nom et que, même s’il avait été prévenu de mon arrivée, il n’avait aucun moyen de vérifier si j’étais bien celui que je prétendais être. Son hésitation dura une fraction de seconde.
    — Je n’ai jamais entendu parler de vous et je n’ai aucune relation à Warszawa.
    J’étais déconcerté. Je ne voyais pas comment je pourrais faire tomber sa réserve. Pendant ce temps, il avait repris tout son sang-froid et considérait apparemment l’incident comme clos. Il avait décidé d’affecter une parfaite nonchalance.
    — Y a-t-il autre chose pour votre service ? demanda-t-il d’un air innocent et embarrassé.
    Il n’y avait plus rien à faire.
    Quand je rencontrai le professeur, le soir même, je lui racontai la scène. Il m’apprit qu’à Lviv, il était absolument inutile d’insister auprès d’un homme qui avait résolu de ne pas parler. En général, c’est qu’il avait de bonnes raisons de se taire et ne pouvait courir le risque de ne pas se fier à son intuition. Plus d’un était tombé dans les griffes de la police pour avoir trop fait confiance à son aptitude à lire sur les visages.
    Il m’informa aussi que le message et les instructions que

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