Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
toujours été l’une des capitales du monde les plus élégantes et les plus captivantes. Mais je m’y sentais déplacé et j’attendais avec impatience le jour du départ. Pourtant, les manifestations de sympathie et de compassion des Hongrois à l’égard des Polonais persécutés étaient fréquentes, et de nombreux épisodes agréables rendirent mon séjour à Budapest plaisant. Au bout d’une semaine, je reçus mon passeport et un billet de chemin de fer.
À Budapest, je pris le Simplon Express, traversai la Yougoslavie et arrivai à Milano après seize heures de voyage. Je quittai l’imposante gare édifiée par les fascistes et j’allai au plus vite visiter la célèbre cathédrale qui, pour je ne sais quelle mystérieuse raison, a toujours été vénérée par les Polonais plus que tout autre monument au monde. Puis, je pris de nouveau le train jusqu’à Modane, à la frontière franco-italienne. À Modane, je me heurtai pour la première fois à la suspicion et à la grande prudence qui entouraient toutes les activités du gouvernement polonais en France, en raison de la menace constante de l’espionnage allemand. Leurs espions s’étaient introduits par essaims en France et s’étaient installés dans les lieux stratégiques d’où il était difficile de les déloger. Le gouvernement polonais avait organisé à Modane un service spécial de contre-espionnage chargé de contrôler de près tout individu arrivant de Pologne, afin d’éviter que des Allemands ne s’introduisent en France en se faisant passer pour des réfugiés polonais ou des membres de la Résistance. Plusieurs de ces individus avaient déjà été arrêtés, et nous connaissions la plupart de leurs méthodes.
En Hongrie, et partout où ils pouvaient entrer en contact avec des réfugiés polonais, les espions allemands s’efforçaient de leur acheter, de leur extorquer ou de leur subtiliser leurs passeports. Ils s’adressaient en général à de simples paysans. Ils leur offraient des sommes fantastiques, leur procuraient le moyen de retourner en Pologne et leur affirmaient qu’une fois rentrés chez eux, on leur rendrait leurs fermes et leur donnerait des terres. Quand les pauvres dupes arrivaient en Pologne, ils étaient envoyés dans des camps de travail forcé.
Au quartier général de notre organisation, à Modane, j’entrai en contact avec l’officier dont on m’avait donné le nom. Il me conduisit à un autre officier polonais en uniforme, qui examina mes papiers et se mit à m’interroger. Je ne pouvais répondre à toutes ses questions en raison du caractère secret de ma mission : il m’était interdit d’en parler à qui que ce fût, en dehors du Premier ministre, le général Sikorski. L’officier me demanda alors le nom de l’homme qui m’avait procuré à Budapest papiers et passeports. Je lui donnai le nom du « directeur » : il me demanda d’attendre et quitta la pièce. Quelques minutes plus tard, on m’introduisit dans le bureau d’un officier supérieur qui m’accueillit cordialement et sans aucune circonspection. Il avait reçu entre-temps par télégramme une description détaillée de ma personne et il me reconnaissait. Il avait ordre de me faire passer en France. Je fus impressionné par le sang-froid avec lequel il examina mes états de service et la fermeté avec laquelle il décida de me prendre pour ce que j’étais supposé être. Dans la Résistance, on rencontre fréquemment des gens qui refusent de vous croire, tel le chef de la section militaire à Lviv.
— J’espère que vous comprenez ma mission. Nous avons d’énormes problèmes avec les espions allemands, beaucoup, beaucoup plus grands qu’on aurait pu le penser, dit-il. Il y en a partout en France.
— Je l’ignorais. Comment cela se fait-il ?
— C’est une longue histoire. Ils ne sont pas particulièrement intelligents, mais ils sont bien organisés, persévérants et sans scrupules. Nous faisons de notre mieux pour les combattre et les déraciner, mais comme les mauvaises herbes, ils repoussent toujours. Nous manquons d’hommes pour en venir à bout, aussi soyez prudent. Ne parlez à qui que ce soit dont vous ne soyez absolument sûr.
— Que font donc les Français contre cet état de choses ?
— Ils prennent des mesures, naturellement, dit-il d’un ton résigné, mais insuffisantes. Rappelez-vous qu’ici la guerre n’est pas encore sérieuse. Ici la guerre n’a pas encore commencé pour
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