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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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contact avec eux et les persuader des avantages d’une collaboration entre Polonais et Allemands. Nous garantissons leur sécurité sur notre parole d’honneur allemande. Vous-même, vous serez l’intermédiaire chargé d’établir ces contacts. Si vous aimez votre pays, vous ne repousserez pas cette proposition. C’est votre devoir de donner à vos chefs l’occasion de discuter avec nous la situation présente. Considérez les autres pays occupés. Dans chacun d’entre eux, il y a des hommes à l’esprit réaliste qui ont choisi la voie de la collaboration, au grand avantage de leur pays et d’eux-mêmes. Vous autres Polonais, vous constituez une étrange exception, malheureusement pour vous. Ce que je vous propose n’a rien de déshonorant ni d’indigne.
    Il me regarda d’une façon encourageante, le visage contracté par l’émotion, presque suppliant, et il ajouta avec solennité :
    — Acceptez-vous ma proposition ?
    Je répondis doucement, surpris de ma propre fermeté.
    — Je ne peux pas accepter. Pour deux raisons : je ne crois pas à la vertu des résultats obtenus par la force. La collaboration ne peut reposer que sur le respect mutuel, la liberté et la compréhension. De plus, même si je jugeais vos principes acceptables, je ne pourrais rien faire. Vous avez préjugé de mon importance. Je ne connais rien du mouvement clandestin ni de ses chefs. Croyez-moi quand je vous le dis.
    Il me regarda avec un tel mépris, une telle férocité que je sentis combien ma réponse avait été téméraire. J’aurais pu hésiter, temporiser, mais l’atmosphère de franchise m’avait rempli d’une audace ingénue.
    — Vous persistez à jouer cette absurde comédie ?
    Maintenant, le lieutenant s’observait ; chaque mot était mesuré et cinglait comme un coup de fouet. Il appuya sur un timbre placé à côté de sa chaise. Le soldat mutilé entra en clopinant et me jeta un coup d’œil de curiosité, puis se tourna vers l’officier qui lui dit : « Heinrich, apporte-moi le film et fais entrer les gardes de la Gestapo. »
    Le soldat se retira clopin-clopant, tandis que le lieutenant arpentait la pièce, en me lançant des regards haineux. Je me rendais compte qu’il me méprisait, non seulement en tant qu’ennemi intransigeant de son pays, mais comme un homme qui s’était montré indigne de collaborer et qui lui avait causé une déception.
    Le soldat revint, suivi des deux hommes de la Gestapo. Il remit quelques clichés au lieutenant qui, à son tour, me les tendit.
    — Ce sont les agrandissements des films que vous avez jetés à l’eau. Nous avons réussi à en sauver une petite partie – petite mais importante. Regardez-les.
    Je pris les films d’une main tremblante. Je crus un instant devenir fou de rage et d’impuissance. Je reconnaissais les trois derniers clichés de mon film Leica. L’eau n’avait pas pénétré jusqu’au cœur du rouleau. J’examinai les épreuves. Rien n’avait été transcrit en code, sauf les noms des personnes et des localités. Tout était porté en clair mais, heureusement, les trois clichés qu’ils avaient pu sauver ne contenaient rien d’important ou de dangereux. L’homme qui m’avait remis le film n’avait pas eu le temps ou avait été trop négligent pour transcrire le texte en chiffres. Je n’avais pas peur, mais j’enrageais de ne pouvoir le confondre pour son insouciance. L’officier m’observait attentivement.
    — Reconnaissez-vous ce texte ? Je suis toujours franc avec vous. Nous disposons de trois clichés. Trente-trois ont été détruits. Les crétins qui vous ont laissé jeter ce film à l’eau ont été envoyés au front – j’espère qu’ils s’y conduiront mieux que dans nos services. Maintenant, j’attends que vous me disiez ce qu’il y avait dans le reste du film.
    Je répondis d’une voix étranglée.
    — Non, je ne peux pas. Il doit y avoir une erreur… j’ai été trompé.
    Son visage devint livide tant il était furieux.
    — Vous n’allez pas cesser enfin cet absurde radotage sur votre innocence ?
    Il se dirigea rapidement vers un coin de la pièce, ouvrit le coffre où il avait pris la bouteille de cognac et en sortit une cravache.
    — Il y a un moment, hurla-t-il dans sa rage, je vous ai parlé d’homme à homme, comme à un Polonais que je pouvais respecter. Maintenant vous n’êtes qu’un sale pleurnichard, un lâche, un hypocrite et un idiot.
    Il me cingla la joue d’un coup de

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