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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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votre température. Il faut apprendre à vous maîtriser.
    En une semaine mon état s’améliora nettement. Cependant, je ne pouvais pas encore me servir de mes mains, pas même pour manger. Des éclisses maintenaient mes poignets et les bandages qui les entouraient semblaient être des gants de boxe tant ils étaient épais. Toutefois, je me souvenais des paroles de la religieuse, et je simulais une faiblesse que je ressentais chaque jour de moins en moins. Les jours passés à l’hôpital slovaque de Presov ont peut-être été les plus étranges de mon existence. Ma convalescence m’inspirait de multiples émotions. Une exaltation aiguë et la sensation presque incroyable du retour de mes forces alternaient avec des crises de mélancolie provoquées par la terreur périodique que m’inspirait l’idée d’un nouvel interrogatoire de la Gestapo. Il était de plus en plus ennuyeux de feindre la faiblesse. Il me tardait de sortir du lit, de marcher, de me promener, de m’asseoir au soleil et la contrainte que je m’imposais ne faisait qu’accroître mon impatience. Bien que le docteur slovaque et les religieuses eussent été très gentils pour moi, pleins de prévenance pour mes désirs et mes besoins, je restais sur mes gardes dans la conversation. La présence constante des policiers ne m’inspirait aucun désir d’échanger des confidences.
    À mon grand étonnement, je constatai qu’à l’hôpital presque tout le monde avait entendu parler de moi. Les malades m’exprimaient fréquemment leur sympathie en m’envoyant de petits cadeaux par l’intermédiaire de la religieuse, même du chocolat et des oranges. Les agents de la Gestapo préposés à la garde de ma chambre ne faisaient rien qui pût me perturber. Avec la satisfaction de chiens de garde suralimentés, ils passaient la plupart du temps à somnoler sur des chaises appuyées contre un mur du corridor.
    Le cinquième jour, l’inertie au lit me devint intolérable. Lorsque la religieuse qui m’avait mis le thermomètre dans la bouche le premier jour se présenta, je la suppliai de m’apporter un journal. Elle me fit de gros yeux mais finalement y consentit. Elle alla dans le couloir demander la permission au garde. Il grommela son autorisation et elle revint avec un journal slovaque. Le titre, en énormes lettres noires, me fit l’effet d’une bombe qui exploserait dans ma tête. «  LA FRANCE A CAPI TULÉ lxxix   ! »
    Mot à mot, car je ne connaissais pas suffisamment le slovaque pour comprendre chaque phrase du premier coup, je lus l’article qui détaillait ce titre. Je le lisais et le relisais, comme si cette répétition pouvait modifier ce que j’avais pensé être un mensonge du lieutenant SS  : le maréchal Pétain avait signé un armistice dans la forêt de Compiègne. Devant les Allemands l’armée française s’était complètement effondrée. Le vieux maréchal avait appelé ses compatriotes à une obéissance absolue. La collaboration… L’Allemagne avait vaincu l’Europe occidentale. Il me fallut quelques minutes pour comprendre et réaliser les faits et je connus alors un véritable désespoir. Pendant des siècles, nous avions été liés à la France par des liens historiques et culturels. Et pour nous autres Polonais, la France était presque une seconde patrie. Nous l’aimions de cet amour profond, irraisonné, dont nous aimions la Pologne. De plus, tout notre espoir de libérer la Pologne reposait sur la victoire de la France. Désormais je ne voyais plus aucune issue lxxx .
    Puis je réalisai que l’article ne contenait aucune information sur le sort de la Grande-Bretagne. Je tournai les pages fiévreusement jusqu’à ce que je tombe sur le mot « Angleterre » et je lus alors : « L’Angleterre commet un suicide en poursuivant la résistance…» Je me mis alors à prier comme le faisaient tous les peuples libres, je suppose, en ces jours fatidiques, mais avec une passion connue seulement de ceux qui ont été vaincus. Je priai que soit donnée à Churchill la force de résister aux épreuves qu’il était en train d’affronter, je priai pour la résistance ferme et opiniâtre des combattants britanniques, pour qu’ils n’admettent jamais la défaite, et je priai pour que le courage n’abandonne pas tous ceux qui n’avaient pas renoncé à la lutte. Tout le reste devenait secondaire devant ce fait capital : l’Angleterre ne s’était pas rendue, l’Angleterre résistait. Tout n’était

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