Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
dure.
Mon corps était rigide, tendu. J’essayai de me retourner sur le côté. Je rencontrai une résistance. Je fis encore un effort plus violent. Je ne pouvais toujours pas bouger. J’étais sûr d’être paralysé, certain que mes nerfs se trouvaient touchés, si bien que mes membres ne pouvaient plus exécuter les ordres de mon cerveau. Pris de panique, je détendis tout mon corps jusqu’à sentir quelque chose de coupant pénétrer dans ma chair en différents endroits. Je réalisai que j’étais solidement attaché à une sorte de table d’opération. Je forçais mes yeux à s’ouvrir et à fixer les objets autour de moi. L’éclat puissant d’une source lumineuse frappa mes prunelles, je dus cligner des yeux. Une lampe pendait au plafond. On l’avait masquée de façon à concentrer ses rayons sur moi, comme si j’eusse été soumis au feu des projecteurs sur la scène.
Je me sentais exhibé et humilié. Un visage plana, indistinct, au-dessus de ma tête ; il était agrandi hors de proportion. Dominant le tintement de mes oreilles, j’entendis une voix qui disait en slovaque :
— N’ayez pas peur. Vous êtes à l’hôpital slovaque de Presov. Nous allons vous guérir. Dans un instant, on vous fera une transfusion de sang.
Ainsi ce n’était plus la prison mais l’hôpital.
Ces mots me firent l’effet d’une douche glacée et je parvins à balbutier :
— Je ne veux pas de transfusion. Laissez-moi mourir. Je sais que vous ne comprenez pas, mais je vous prie de me laisser mourir.
— Restez tranquille. Tout ira bien.
Le docteur, car je voyais maintenant qu’il portait la tenue blanche habituelle des chirurgiens, disparut et j’aperçus, dans le fond de la pièce, le large dos menaçant d’un gendarme slovaque penché sur un journal. Mon inspection de la pièce se termina soudain. Le docteur était revenu dans mon champ visuel et, cette fois, je remarquai que c’était un homme court sur pattes et tassé. Un instrument pointu s’enfonça dans ma jambe.
— Cela vous fera du bien, dit le docteur.
J’essayai de les arrêter, de m’arracher d’entre leurs mains. Me raidissant dans un dernier effort de résistance, je m’évanouis.
Lorsque je me réveillai, j’étais dans une chambre étroite et petite, en compagnie de trois autres patients, tous des Slovaques. Il y régnait une violente odeur d’acide carbonique et d’iodoforme. La nuit était déjà avancée. La lune éclairait les lits et leurs occupants. Mes trois camarades de salle se retournaient continuellement et ronflaient bruyamment. Un homme chauve, le visage angoissé, gémissait de temps en temps, en proie à un cauchemar.
Je m’assis dans mon lit, surpris de ne pas souffrir. Sauf une légère pression aux tempes, mon corps était plongé dans une bienfaisante torpeur. Avec difficulté je mobilisai mon esprit pour examiner la possibilité d’une nouvelle tentative de suicide ou une évasion. Je scrutai la pièce. Elle ne semblait pas gardée. Mais par l’entrebâillement de la porte, j’aperçus la silhouette omniprésente du gendarme slovaque en uniforme bleu toujours penché sur son journal. Épuisé et découragé, je laissai retomber ma tête sur l’oreiller.
Il ne me restait pas grand espoir. Même s’il se présentait une chance d’évasion, je doutais de pouvoir rassembler assez de forces pour tirer parti de l’occasion. Je comprenais que j’aurais probablement à affronter bientôt les nouveaux assauts des inquisiteurs de la Gestapo et je décidai de tenter à nouveau de me suicider. Je m’endormis avec le mince réconfort que je pouvais tirer de cette décision.
Le lendemain, une joyeuse voix féminine me réveilla. Une religieuse se tenait debout à côté de mon lit, un thermomètre à la main. Elle le plaça dans ma bouche et murmura :
— Vous comprenez le slovaque ?
Le thermomètre entre les lèvres, je grognai affirmativement. Le slovaque ressemble beaucoup au polonais et j’en comprends presque chaque mot.
— Écoutez-moi attentivement, il vaut mieux être ici qu’en prison. Nous allons essayer de vous garder le plus longtemps possible, comprenez-vous ?
Je comprenais les mots, mais pas très bien ce qu’ils signifiaient. Le désir que j’avais de la questionner me fit retirer le thermomètre de la bouche. Elle l’y replaça avec autorité, posa un doigt sur ses lèvres, et secoua la tête en signe d’avertissement.
— Je suis obligée maintenant de reprendre
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