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Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin

Titel: Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jan Karski
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cravache. Les hommes de la Gestapo se jetèrent sur moi et me bourrèrent de coups de poing. Le monde chavirait autour de moi, tandis que je ployais sous cette avalanche de coups.
    C’est sans le moindre sentiment de triomphe que, rentré dans ma cellule, je compris que j’avais encore survécu à un passage à tabac de la Gestapo.
    Étendu sur mon grabat, tout ce qui venait en contact avec mon corps contribuait à accroître la douleur lancinante qui se répandait en moi de la tête aux pieds. En passant ma langue sur mes gencives saignantes, je sentis, sans émotion, que quatre de mes dents avaient sauté. Mon visage n’avait plus rien d’humain ; c’était un masque horrible, sanguinolent, bouffi. Je comprenais que je ne survivrais pas à une nouvelle séance de ce genre. Je brûlais de rage impuissante et d’humiliation.
    Je savais que tout était fini, que je ne serais plus jamais libre, que je ne survivrais pas à un nouvel interrogatoire et, pour échapper au déshonneur et à la honte de trahir mes amis dans un état de demi-conscience, la seule chose qui me restait à faire était d’utiliser la lame de rasoir et de me tuer.
    Je m’étais souvent demandé ce qu’était l’état d’esprit des gens qui meurent pour un idéal. J’étais certain qu’ils s’absorbaient en des méditations d’un ordre élevé sur la cause pour laquelle ils allaient mourir. Je fus franchement surpris quand je découvris qu’il n’en était pas ainsi. Je ressentais seulement une haine et un dégoût qui surpassaient même la douleur physique.
    Je pensai à ma mère, à mon enfance, à ma carrière, à mes espoirs. Je ressentais une tristesse infinie à l’idée de périr d’une mort sans gloire comme un insecte qu’on écrase, misérable et anonyme. Ma famille pas plus que mes amis n’apprendraient jamais ce qui m’était arrivé, ni où se trouvait mon corps. J’avais endossé tant d’identités que, même si les nazis désiraient informer quelqu’un de ma mort, ils ne pourraient probablement pas retrouver ma véritable origine.
    Je gisais sur mon grabat, en attendant l’heure où le Slovaque aurait terminé ses rondes. Jusque-là, mon dessein semblait s’être formé de lui-même. Je n’avais pour ainsi dire pas raisonné, ni réfléchi. J’avais simplement agi sous l’impulsion de la douleur et du désir de m’évader, de mourir. Je pensais à mes convictions religieuses et au crime indéniable que j’allais commettre. Mais le souvenir de mon dernier interrogatoire était trop vivace. Je ne pouvais avoir que cette seule pensée : je suis dégoûté, dégoûté.
    Le gardien avait terminé ses rondes. Je pris la lame de rasoir et je m’entaillai le poignet gauche. La douleur n’était pas grande. Évidemment, je n’avais pas touché la veine. J’essayai encore, cette fois plus bas, en imprimant à la lame un mouvement de rotation et en l’enfonçant aussi profondément que je pus. Soudain, le sang jaillit comme d’une fontaine. Je sentais que cette fois, j’avais réussi. Puis, assurant la lame dans ma main droite toute sanglante, je coupais la veine du poignet gauche. Maintenant, c’était plus facile. Je reposais sur ma couche, les bras allongés le long du corps. Le sang jaillissait dans un débit uniforme, et formait des mares près de mes jambes. Au bout de quelques minutes, je me sentis devenir plus faible. Dans une sorte de brume, je me rendis compte que le sang avait cessé de couler et que j’étais encore en vie. Dans la crainte de manquer mon coup, je remuai mes bras en l’air pour les faire saigner à nouveau. Le sang coulait à flots. J’avais l’impression d’étouffer et j’essayais de respirer par la bouche. J’eus un haut-le-cœur. Je vomis. Puis je perdis connaissance.

Chapitre XIV À l’hôpital
    Je ne sais combien de temps je restai évanoui. Je ne repris mes sens que graduellement. Tout d’abord ma conscience ne put enregistrer que des sensations physiques douloureuses. L’intérieur de ma bouche et ma langue étaient desséchés, enflammés et amers. Les oreilles me tintaient. J’essayais faiblement de me rendre compte de ce qui m’entourait, mais quelque chose s’opposait à mes efforts et me repoussait dans le néant d’où j’essayais d’émerger.
    En luttant contre cette pression incessante, je réagissais peu à peu. Une chose devint claire : je n’étais pas dans ma cellule, couché sur ma paillasse crasseuse, mais sur une espèce de surface

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