Mon témoignage devant le monde-Histoire d'un Etat clandestin
considération à mon endroit pour intervenir en ma faveur. Il ne me fallut pas beaucoup de réflexion pour chasser cette illusion. Outre le fait psychologique évident qu’il me traiterait d’autant plus cruellement que j’avais reçu ses confidences, je comprenais qu’il avait été complètement endoctriné par les principes nazis de force et de cruauté.
Il continua à suivre le cours de ses souvenirs, candide et fier à la fois.
— Vous savez, dit-il, le Parti national-socialiste, à ses débuts, fut basé sur des principes purement virils. Nous avons une idéologie purement virile.
Puis il ajouta avec fierté :
— Quand j’étais à l’Ordensburg, je ne parlais jamais à une femme, et je ne suis jamais sorti avec une femme, sauf pour des raisons de service. J’aime parler franchement, d’homme à homme, et je suis sûr que nous nous entendrons.
Après avoir prononcé ces paroles remarquables, il se dirigea vers un coffre placé dans le coin de la pièce, où il prit une bouteille de cognac. Il me versa à boire, me donna une cigarette, et rapprocha son siège plus près du mien.
— Eh bien, revenons à nos affaires, dit-il en souriant. En premier lieu, je dois vous dire que j’ai fait changer votre condition en celle de prisonnier militaire et que j’ai donné des instructions pour que vous soyez traité en conséquence.
— Je vous remercie, répliquai-je.
— Oh, pas le moins du monde. Après tout, vous n’êtes pas un criminel, et je suis certain qu’après m’avoir entendu, vous désirerez travailler avec nous et non pas contre nous.
Je risquai une faible protestation :
— Je n’ai jamais travaillé contre vous, comme vous le supposez. Vous me croirez certainement si je vous dis que je n’ai rien à voir avec le mouvement clandestin…
Il m’interrompit ; son visage s’était rembruni.
— Je vous en prie, ne continuez pas cette plaisanterie. Nous avons des preuves, que je vous montrerai bientôt, que vous êtes un courrier de la Résistance.
Il me regarda pour voir si j’allais persévérer dans mes dénégations. Comme je gardais le silence, il me tapota le genou.
— Voilà qui est préférable, mon vieux. Ne vous rendez pas ridicule en niant l’évidence. Je n’arrive pas à comprendre votre entêtement, à vous autres Polonais, actuellement, dans une situation où vous n’avez plus aucune chance. La France a capitulé. L’Angleterre fait des offres de négociations, l’Amérique, à des milliers de kilomètres, est neutre…, dit-il, le regard perdu, dégustant son cognac à petites gorgées.
Brusquement il reprit avec une exaltation théâtrale :
— Bientôt le Führer dictera la paix à London. Dans quelques années, il proclamera l’ordre nouveau sur les marches de la Maison Blanche à Washington. La paix nouvelle sera permanente, rien de commun avec les promesses mensongères et hypocrites des ploutocrates judéo-démocratiques. Pax germanica, la paix qu’ont rêvée Nietzsche et tous les grands penseurs et poètes qui ont travaillé pour l’ordre nouveau. Je sais que le monde entier a peur de nous. Il se trompe. Nous ne voulons faire tort à personne. À l’exception des Juifs, bien entendu. Pour eux il n’y a pas de place, ils seront liquidés. C’est ce qu’a décidé le Führer. Nous voulons être justes vis-à-vis du monde non germanique, et nous ferons régner la justice. Le travail assurera le pain et l’existence. En échange d’une attitude loyale envers le III e Reich, nous le laisserons participer à notre civilisation nouvelle. Vous le voyez, nos conditions sont généreuses.
L’alcool, la chaleur de la pièce, le discours véhément, passionné du lieutenant, m’avaient fatigué. J’étais dans un état de léthargie, et je me sentais légèrement ivre. J’interrompis son discours d’une façon plutôt insolente.
— J’ai déjà entendu la plupart de ces choses. Que voulez-vous de moi ?
Il ne se rendit pas compte de l’impertinence de mon ton, tant il était plongé dans ses ardentes visions d’avenir. Il se ressaisit et se donna un air de fermeté, l’air d’un réaliste sûr de lui, d’un haut dignitaire compétent.
— Nous désirons être généreux avec vous. Nous savons qui vous êtes et ce que vous faites. Vous transmettez des informations de la Résistance à vos chefs, en France. Mais je ne vais pas vous demander de trahir votre pays, vos chefs et vos amis. Nous voulons pouvoir entrer en
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