Monestarium
autour de son cou. Une cliquette neuve y pendait. Les lamelles
superposées de bois de frêne étaient encore laiteuses.
Mortagne, flanqué de Malembert,
déboula dans le bureau. Le regard du comte passa des deux cadavres à l’abbesse
pour s’attarder sur Alexia de Nilanay, décolorée jusqu’aux lèvres et incapable
de prononcer un mot de peur de perdre tout à fait ses nerfs.
Aimery de Mortagne s’était rongé les
sangs depuis qu’il avait compris qu’Éloi ne cherchait qu’une opportunité de
rejoindre sa proie : Plaisance. Ils avaient couru à perdre haleine,
franchissant la demi-lieue qui séparait le clos des lépreux du palais abbatial
à la vitesse d’un cheval au galop. De monstrueuses visions s’étaient succédé
dans l’esprit du comte : l’abbesse égorgée, Alexia violée et étranglée, ou
les deux femmes poignardées, ou… ou. La fureur meurtrière qui l’avait soulevé à
ce moment-là, annihilant sa fatigue, lui faisant allonger la foulée au point de
distancer Étienne, lui avait fait comprendre à quel point cette damoiselle de
Nilanay lui était devenue précieuse. Elle était vive. L’abbesse était sauvée.
Le reste… ? Plus tard.
La peur s’estompant, la douleur de
Plaisance prenait en puissance. Elle grimaça. Malembert se porta à son secours.
Elle l’arrêta d’une faible plaisanterie :
— Êtes-vous bien certain,
monsieur, d’être tout à fait mire ?
— Je suis tout à fait sûr du
contraire, ma mère. Cela étant, j’ai assez pataugé dans les tueries de champs
de bataille pour savoir panser une blessure d’arme.
— Alors, je m’efforcerai d’être
aussi brave que l’un de vos soldats.
— Je crois, madame, que vous
pourriez leur en remontrer en bravoure.
— Quel joli compliment, messire
Malembert. Espérons qu’il soit fondé.
La dépouille d’Hucdeline de Valézan,
prétendument étranglée par un ladre devenu fou, fut inhumée dès le
surlendemain. Plaisance jugea préférable de ne pas infliger l’opprobre et le
scandale à leur communauté déjà si malmenée. La grande prieure fut donc
enterrée avec les honneurs dus à son rang.
Rolande Bonnel, sœur dépositaire,
exultait. Elle avait eu raison ! En tout, quarante-huit deniers avaient
été prélevés des comptes du cloître de La Madeleine, les moins surveillés
puisque ni elle ni Aude de Crémont n’y veillaient. Ah ça ! On ne lui en
remontrait pas !
Le messager rendu disert, pour ne
pas dire intarissable, par les menaces très claires et tout aussi
impressionnantes de monseigneur de Mortagne, avait avoué le prix de ses courses
vers Jean de Valézan ainsi que leur nombre. Il ne manquait qu’un minuscule
denier pour faire bon compte et satisfaire la tatillonne Rolande. Le prix d’une
belle cliquette neuve, commandée par madame de Valézan à un serviteur. Elle
devait remplacer celle qu’Éloi avait perdue sur les lieux de son crime, après
avoir étranglé sur ordre et par méprise la douce Angélique Chartier qu’il
savait où trouver, grâce aux informations de la grande prieure.
Rongée par le remords et sa bêtise,
Alexia de Nilanay se débrouilla pour aborder l’abbesse à la sortie de
l’abbatiale.
— Vous remettez-vous bien de
votre blessure, madame ? s’enquit-elle.
— Grâce à Dieu, oui. Les soins
efficaces – à défaut d’être délicats – que me prodigue monsieur Malembert,
aidés par les onguents que me concocte notre irremplaçable Hermione m’ont
presque tout à fait guérie. Encore quelques jours et je retrouverai mon bras de
naguère.
— Vous m’en voyez rassurée.
— En confidence, j’ai joui d’un
bon prétexte pour remettre à plus tard l’interminable mise à jour de nos
registres, plaisanta Plaisance.
Elle détailla la jeune femme.
Celle-ci avait fière allure dans ses vêtements de siècle, récupérés d’une dame
oblate de sa stature. Un touret [175] de laine vert amande, retenu par une barbette [176] , cachait son
crâne rasé. Sa robe jaune à manches justes [177] , agrémentées de
longues coudières [178] à la nouvelle mode, était taillée dans une épaisse soie safran. Une ceinture de
fin cuir noué de chaînettes soulignait la finesse de sa silhouette. Un mantel [179] de laine vert sombre complétait l’ensemble. Plaisance se fit la réflexion
qu’Alexia portait toilette comme peu de femmes de sa connaissance. Elle se
demanda avec un pincement de cœur ce qu’il serait advenu de la jeune femme
Weitere Kostenlose Bücher