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Monestarium

Monestarium

Titel: Monestarium Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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culture. Vous avez dû rendre votre famille bien
fière, s’excusa Marie-Gillette d’un ton d’admiration.
    Un regard aigu se posa sur elle.
Agnès Ferrand cherchait si une pique se dissimulait sous cette phrase anodine
et en apparence flatteuse. Elle se rassura : nulle ici ne pouvait
connaître ses origines bâtardes. Elle se trompait. Lesdites origines en avaient
réconforté bon nombre. Une petite vengeance aux humiliations dispensées par la
portière.
    — Malheureusement, je vous vais
devoir abandonner, expliqua Agnès. Je dois rencontrer notre grande prieure, qui
a besoin d’un conseil. Qu’en pensez-vous ?
    — Qu’elle est fort avisée de le
requérir de vous.
    Agacée, Agnès Ferrand
rectifia :
    — Non, que pensez-vous
d’Hucdeline de Valézan, notre grande prieure ?
    — Oh, une femme admirable, une
aubaine pour notre communauté ! mentit avec aplomb Marie-Gillette.
    Elle patienta ensuite quelques
instants, redoutant que l’autre ne revienne sur ses pas. Elle détailla la pièce
de belles proportions. On s’y sentait pourtant à l’étroit, au point qu’elle
évitait d’y rester plus que de nécessaire. Il y régnait en permanence une
fraîcheur sèche, lourde d’essences de bois de genévrier et de cannelle propices
à la conservation des ouvrages et à leur protection contre les insectes. Les
fenêtres, qui permettaient à l’air du printemps de pénétrer, étaient défendues
de grilles ouvragées qui interdisaient le passage des animaux ravageurs. On les
occultait de peaux huilées à la mauvaise saison.
    Elle se rapprocha de la porte, tendant
l’oreille, feignant de déchiffrer les titres des ouvrages alignés. Pas un qui
n’eût trait à la foi, à la vie monastique, si ce n’était un ou deux volumes
consacrés à la science agricole. Certes, elle ne s’attendait pas à y découvrir
les magnifiques romans de monsieur Chrétien de Troyes [38] , comme ce Chevalier
de la charrette . Pourtant, certaines chansons de geste de fort bon aloi
auraient pu trouver place sur ces rayonnages. Que lui importait, après tout. On
lui avait lu tant de poèmes qui resteraient à jamais gravés au fond d’elle.
Parfois, le soir au coucher, elle se délectait de leur silencieuse
récitation : « Belle amie, si est de nus : ne vus sanz mei, ne
mei sanz vus [39] . »
    Le silence l’environnait. L’odieuse
portière était loin.
    Marie-Gillette tira l’escabeau
devant le meuble de bibliothèque. Lorsqu’elle frôla du bout des doigts la toile
du rouleau, caché derrière des volumes que nul ne consulterait jamais tant leur
contenu était indigeste, elle soupira de bien-être.
    Elle devait se hâter. Vite, le
chauffoir. Ensuite, elle serait rassérénée. Pour quelque temps.
     
    Marie-Gillette se mordait les lèvres
d’énervement. Elle avait retourné l’armoire aux cornes d’encre de fond en
comble. Comment se pouvait-il ? Qui ? Le deuxième rouleau de toile
peinte avait disparu. L’agitation la faisait transpirer. Une crainte
superstitieuse se mêlait à son exaspération. La moitié de son talisman venait
de s’envoler. Qu’est-ce qui pouvait la protéger, maintenant ? Elle se
tança. Allons, elle allait le retrouver. Sans doute quelqu’une l’avait-elle
déplacé. L’écho de bancs, de fauteuils que l’on tirait dans la pièce voisine
attira son attention. Le conseil rejoignait la salle capitulaire qui jouxtait
le chauffoir. Il lui fallait sortir en discrétion. Si elle venait à se faire
surprendre, comment expliquer sa présence ?
     
    En dépit de la fraîcheur de la
soirée, Plaisance de Champlois respirait avec peine. La salle capitulaire
bruissait des arguties, des mécontentements voilés des unes et des autres, des
jalousies déguisées de la plupart. La jeune abbesse de tout juste quinze ans [40] n’ignorait rien du nombre de ses adversaires. Élue par ses sœurs sur vive
recommandation du pape Clément V*, son parrain, il s’en trouvait pour regretter
son âge encore vert, insister sur le fait que cet « appui » du
Saint-Père ressemblait à s’y méprendre à un ordre, que si l’on n’y prenait
point garde, le chapitre n’aurait bientôt plus voix au chapitre [41] et que le pouvoir
– qu’il soit temporel ou spirituel – finirait pas imposer ses représentants.
Cette opposition, qui virait à la mutinerie, était menée de main de maître par
Hucdeline de Valézan, la grande prieure. Celle-ci avait espéré que la maturité
de ses vingt-huit

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